Chapitre 21

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Chapitre 21

À quelques kilomètres de Letterkenny était installé un petit campement, constitué d'une demi-douzaine de caravanes. C'était là que vivait Kate depuis qu'elle avait rejoint le groupe de son fils, qui vivait de cambriolages, de rackets et de petits trafics. Hugh ne s'occupait pas du tout de son bébé, un beau garçon nommé Tom, et Kate ne s'en plaignait pas : elle était ravi de le remplacer et d'aider Abigail, que tout le monde appelait Abby, à s'occuper de l'enfant.

Abigail était une jeune femme de trente ans, petite et ronde, avec un visage lunaire et de fins cheveux blonds. Elle semblait constamment effrayée. Pas forcément à tort : Hugh n'était pas doux avec elle et la terrorisait pour faire rire ses camarades. Kate prenait sa défense du mieux qu'elle pouvait, mais Hugh n'hésitait pas à la menacer elle-aussi.

Kate s'était sentie bizarre en reposant le pied en Irlande. Elle y avait des souvenirs de toute une vie, des joies et des peines, des débuts et des fins. Elle revoyait son premier mari, son fils mort pendant le conflit nord-irlandais, Edward, et Hugh, à l'époque où il avait encore du respect pour elle. Catholiques, son mari et elle avaient longtemps vécu à Belfast, en Irlande du Nord, et rapidement intégré l'IRA provisoire, pour mettre fin à l'occupation britannique.

La violence, le trafic d'armes, les bombes, les combats de rues, Kate avait connu tout cela. Puis, des membres fous de l'Ulster Volunteer Force, qui luttaient avec acharnement contre l'IRA provisoire, avaient tiré sur son mari et son fils, Edward, qui n'avait que douze ans.

Kate, désespérée, avait emmené Hugh, encore enfant, en Irlande, à Letterkenny, où ils s'étaient définitivement installés. Mais Hugh était assoiffé de vengeance, et avait plus tard pourchassé les responsables du meurtre de son père et de son frère. Il avait voulu s'en prendre même à leurs femmes et à leurs enfants : Kate s'était interposée, et Hugh ne lui avait jamais pardonné.

Kate considérait donc qu'elle avait perdu ses deux fils. Alors, faire la rencontre de Tom, qui était de son sang, lui avait donné l'impression d'une seconde jeunesse. Surtout après avoir perdu Juan. Abby, sa belle-fille, n'osait pas lui poser de questions, et Kate ne voulait pas en parler.

Cela ne l'empêchait pas de penser à Ernesto. Que faisait-il, cet idiot ? Pourquoi ne venait-il pas la chercher ? Avait-il peur qu'elle le rejette à nouveau ? Sans doute. Elle avait conscience d'avoir été très dure. Elle était tellement malheureuse quand Juan était parti...

- Madame Mensueda ? fit timidement Abby, rompant le fil de ses pensées.

- Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler comme ça. Pour toi, je suis Kate.

- Tom pleure, et je ne sais pas pourquoi. Il a mangé, et sa couche est propre...

Kate s'empressa d'aller prendre son petit-fils dans ses bras et le berça en lui chantant une vieille balade irlandaise. Abby la regardait avec admiration.

- Vous savez si bien vous y prendre avec lui...

- J'ai déjà élevé deux garçons, murmura Kate. Et j'étais très jeune : j'ai eu Edward à dix-sept ans, et Hugh à dix-neuf.

- Vous vivez en Italie, maintenant ? Ce doit être si beau, là-bas !

- Tu iras un jour, avec Tom.

- Oh, non. Hugh ne me laissera jamais partir.

- Qu'est-ce que ça pourrait bien lui faire ? Il ne s'occupe ni de Tom ni de toi. Ce n'est qu'une brute stupide.

- C'est votre fils, protesta doucement Abby.

- Non, plus vraiment.

Tom cessa de pleurer et ses yeux commencèrent à se fermer.

La Villa Gialla : Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant