Le reste de la matinée passa rapidement et, après une heure de SVT et deux heures de français, quelque peu ennuyeuses (pour rester polie), nous allâmes manger.
À peine sorti de la salle de français, Elsa soupira, démotivée :
«-Ouf ! J'ai cru qu'on s'en sortirait jamais !
-C'est clair, argumenta Lorrie. Ce n'est pas qu'on n'aime pas Baudelaire, mais un peu quand même !»
Sans surprise, Evan s'incrusta dans la conversation, habitude pénible et parfois gênante qu'il avait prise depuis le début de sixième (oui, je me le tape depuis le collège !).
«-C'est sûr que si la prof nous faisait lire Le Trône de Fer (il est fan de Game of Thrones), ça serait beaucoup plus intéressant !
-Trop prise tête, nia Lorrie.»
S'ensuivit alors un débat animé et vif entre Lorrie et Evan, tout deux bornés et décidés à avoir le dernier mot, sur un sujet, on ne pouvait plus, exaltant.
Elsa et moi les laissèrent batailler entre eux et elle reprit, lorsque nous fûmes assez loin du flux de paroles des deux adolescents pour nous entendre.
«-Si seulement nous pouvions étudier...
-Le Petit Prince ! finis-je, en même temps qu'elle.»
Notre synchronisation parfaite nous fit rigoler.
Elsa était la seule personne avec qui je pouvais autant rire. Je crois qu'au terme de ces cinq dernières années, nous avions battu haut la main le record de fous rire atteints. Parfois, nous rigolions tellement que cela pouvait durer quelques minutes entières, où je peinais à reprendre mon souffle. Dans ces moments-là, je me disais qu'un jour, j'allais mourir de rire, littéralement parlant. Et je me faisais la réflexion que c'était une belle mort. Mourir de rire. Vous savez ces moments où tout vous semble drôle et que le moindre bruit vous fait partir dans un énième fou rire, sans trop savoir pourquoi ? Elsa et moi en étions les pros. Comme la fois où, en cinquième, notre prof d'histoire avait loupé sa chaise et s'était royalement retrouvé les fesses sur le sol de la salle. J'avais vraiment cru que je n'arrêterais jamais plus de rire de toute ma vie. Lorsque nous nous arrêtions quelques secondes, il suffisait que nos regards se croisent pour exploser à nouveau de rire. Le prof avait failli nous mettre dehors pour nous calmer. Le rire, c'était quelque chose de contagieux, de communicatif, et surtout, quelque chose d'intraitable. Elsa et moi aimions parler d'épidémie d'immortalité. Là où il y aura encore des hommes, le rire subsistera. C'était notre philosophie commune.
Lorsque nous nous engageâmes dans le bâtiment où se situait le self, Evan et Lorrie étaient encore en train de batailler et ne semblait d'ailleurs pas être sur le point de finir. Je me fis la réflexion qu'ils feraient probablement de bons candidats politiques : de beaux parleurs, jamais à court d'arguments, même si ceux-ci étaient parfois un peu tirés par les cheveux.
Ce fus une fois assis, devant leurs assiettes, qu'ils cessèrent leur débat, mais, au vu de leurs regards respectifs, je compris qu'ils ne faisaient que reporter leur débat à une date ultérieure, comme s'il n'avait pas assez duré.
J'aperçus le nouveau avec d'autres élèves de la classe et lorsqu'il passa devant moi, nos regards se croisèrent à nouveau. Quelque chose avait changé par rapport à hier. Son regard semblait moins distant, presque amical. Il fut d'ailleurs accompagné d'un léger sourire, que je ne pus lui rendre, trop crispée. Heureusement pour moi, Elsa ne remarqua pas cet échange tacite, trop occupée à recadrer Evan, qui devait encore avoir dit je ne sais quelle bêtise.
Le repas se résuma en un bavardage incessant entre Lorrie, Evan et Elsa, dans lequel je me permis quelques interruptions, afin de ne pas m'attirer l'attention d'Elsa. Le sujet principal de ce bavardage fut bien évidemment (je me serais étonnée du contraire) LA soirée.
Evan avait déjà organisé plusieurs soirées, mais celle-ci sera, selon lui, plus gigantesque, plus festive, plus grande, plus joyeuse, plus marquante... bref, en gros, elle sera 'plus mieux', à en croire les dires d'Evan. Je n'étais jamais allée à une fête d'Evan, car j'avais toujours su trouver les bonnes excuses pour me défiler à la dernière minute. Elsa y allait et me disait immanquablement que j'aurais du venir et que j'avais raté quelque chose, ce quelque chose étant Evan bourré. Super. Quoique cela devait être marrant. Et un peu flippant aussi.
Ce sujet semblait d'ailleurs passionner Evan et je savais qu'il pouvait en parler des heures et des heures sans s'arrêter, si on ne le stoppait pas, tout cela pour dire qu'il fallait qu'on vienne à 19h30 et qu'on allait manger des chips. Oui, oui, je vous assure, il pouvait faire tout un discours sur la composition des chips et en quoi elles animent une soirée, alors que, devant une rédaction de français bien plus passionnante, c'était tout au plus s'il parvenait à écrire son nom. Logique.
Nous sortîmes (enfin) du self, ce qui me parut d'abord une bonne nouvelle (peut-être qu'Evan cesserait de parler de sa super soirée), mais je regrettai aussitôt ma pensée, car, à peine avions-nous mis le pied hors du self que Lorrie s'exclama, à la fois joueuse et tout à fait sérieuse :
«-Bref, tout ça pour dire que Game of Thrones est trop prise tête et que c'est pour les mecs.»
Cela ne manqua pas et Evan, piqué, riposta aussitôt, encore gagné par une inspiration d'arguments, tous aussi insensés les uns que les autres, mais captivants. On aurait dit que le self avait été une terre sacrée, symbole d'union et de paix, tandis que l'extérieur était une zone de guerre et d'hostilité.
En sortant hors du bâtiment, je fus bousculée violemment (en gros, je fus projetée contre le mur le plus proche, mais comme je ne tenais pas sur mes pieds...) par... le nouveau. Ce dernier se retourna, l'air embêté. Je me retrouvai devant lui, aussi gênée que lui, si bien que j'en perdis ma langue.
«-Hem..., commença le nouveau, hésitant. Je...»
Il fut royalement coupé par Elsa, qui ne put s'empêcher de me défendre, bec et ongles, comme à son humble habitude :
«-Fais un peu attention où tu marches !»
Elle me prit par l'épaule et, sans attendre aucune réponse, continua sa route, en soupirant, agacée. Je ne pus lui en vouloir de m'avoir défendue, d'autant plus que j'aurais été incapable de prononcer un mot devant lui. J'avais sérieux problème avec ce type moi !
Ma meilleure amie se mit à grommeler :
«-Je déteste ce type !
-Moi aussi, m'exclamai-je, du tac-au-tac, sans vraiment savoir ce que je pensais.»
A vrai dire, je n'en savais rien.
Elsa me lança un sourire complice et me mit dans la confidence.
«-Samedi, il vient à la soirée. Ça sera l'occasion d'en apprendre un peu plus sur lui. D'ailleurs, tu sais qu'il a demandé Anaïs en ami sur Facebook. Elle a accepté. Il paraît qu'elle est folle de lui !»
Je restai sans rien dire, n'arrivant pas à définir le mélange hétérogène (ouais, ça fait un peu physique-chimie, mais c'est pas grave, je suis en S après tout !) de sentiments qui affluaient dans mon cerveau. Cependant, je fus certaine d'avoir ressentie un léger pincement au cœur, mais je préférais faire passer cela pour la digestion du repas (oui, je sais, ça se passe dans l'estomac, laissez-moi dans mes délires !).
Elsa reprit, sans avoir visiblement repérer mon malaise :
«-Samedi rimera avec observation, qui sera le point de départ de notre enquête sur Lylian Johnson (elle avait apparemment plus de mémoire que moi). D'ailleurs...»
Elle baissa la voix, en constatant qu'Evan était juste devant nous.
«-...ça rendra la super soirée d'Evan plus intéressante.»
Je souris et j'approuvai en levant l'index et le majeur en l'air, pour former un V, signe que nous avions si souvent utilisé qu'il en était devenu un symbole d'accord tacite entre nous deux. Elle fit de même, heureuse que je sois de la partie. Je ressentais une légère excitation dans la perspective d'espionner le nouveau, ainsi qu'un certain malaise. Vivement samedi !
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Alors ce nouveau chapitre ? Qu'en pensez-vous ? :)
LetTheMagicHappen
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T1 | S'il suffisait que je te le dise...
RomanceTOME 1 «Les rencontres sont comme le vent ; certaines vous effleurent la peau, d'autres vous renversent.» Orpheline, travailleuse, sérieuse. Ce sont sûrement les trois mots qui définissent le mieux Zélina Evans, une lycéenne de seize ans, traînant d...