J'avais la tête posée contre la vitre de la voiture. J'essayai de ne pas penser, mais cela me demandait un effort surhumain. Ma tante me lançait de temps en temps des regards attentionnés et maternels. Elle ne parlait pas. Comme mes parents, elle ne parlait presque jamais au volant. Elle trouvait cela plus dérangeant qu'utile, idée que j'approuvais. Quand on n'avait rien à se dire, autant ne rien dire.
Cela faisait presque une demi-heure que nous roulions. Ma tante ne m'avait pas dit où nous nous rendions, mais j'avais ma petite idée. Je ne savais pas si j'avais envie de m'y rendre ou non. Je ne savais pas si j'avais envie de le voir ou pas. Je ne savais même pas si je lui en voulais encore. Je pense que oui.
Après avoir lu sa lettre, j'avais eu envie de tout laisser tomber. L'espace d'un instant, j'avais vraiment voulu abandonner, cesser ce combat inutile contre l'injustice de la vie. Toute envie de me battre m'avait quittée. Vous savez, ce fut comme un ballon qui se vide de toute l'air qu'il contient. Il n'en reste à la fin qu'une carcasse informe, sans vie. J'étais ce ballon sur le point de relâcher son dernier souffle d'air.
Je n'avais plus qu'une seule pensée en tête, une pensée qui me torturait : je l'avais tué. J'avais tué Lylian Johnson. Si seulement je l'avais laissé me parler, il n'en serait pas allé jusque-là. S'il avait suffi que je le laisse parler...
Je m'en voulais affreusement. Ce sentiment de culpabilité me rongeait de l'intérieur et m'oppressait. Lorsque j'avais fini de lire la lettre, cette sensation était tellement présent que je peinais à respirer. Les larmes que j'avais déversées avaient tracé des sillons sur mes joues, qui se voyaient encore. Mes yeux étaient bouffis et rougis par les pleurs.
Soudain, ma tante marqua un arrêt, un peu brutal, devant une barrière baissée. Elle dut payer la place de parking (payer pour aller dans un hôpital, vous y croyez vous?) et finit par se garer entre une sorte de Ferrari (je ne m'y connais rien en voiture) et une camionnette noire aux vitres teintées. Dehors, un vent d'air frais m'accueillit et me fit relativement du bien.
Nous marchâmes jusqu'à l'entrée de l'hôpital, silencieusement. Juste avant de pénétrer à l'intérieur du grand bâtiment en béton, ma tante fit une pause et me demanda, en me regardant droit dans les yeux :
«-Tu veux entrer ?»
Elle avait demandé cela comme si une mère demandait à son enfant s'il voulait refaire un tour de manège. Une question plus rhétorique qu'autre chose. Pourtant, je mis quelques instants à lui répondre. Pendant ces quelques secondes d'attente, je ne réfléchissais pas à la réponse -la réponse, je la connaissais- je pensais à ce qu'il allait se passer si j'entrais dans cet hôpital. Je finis par hocher la tête, sans savoir si c'était mon coeur qui parlait ou ma conscience. Je ne savais pas si j'allais le voir juste parce que j'en avais envie ou parce que j'avais ce besoin obsédant d'apaiser cette culpabilité qui me rongeait. Les deux raisons étaient purement égoïstes : j'y allais pour moi, pas pour lui.
Ma tante acquiesça et pénétra dans le bâtiment ancien de l'hôpital. Elle se dirigea aussitôt vers l'accueil et demanda, d'une voix claire :
«-Est-ce que cela serait possible de voir un patient ?
-Mmmm, son nom ?»
La secrétaire semblait aussi ravie d'être ici que moi. Elle n'avait même pas pris le temps de relever la tête de son écran d'ordinateur lorsque ma tante avait posé sa question. Son visage montrait qu'elle voulait être partout sauf ici.
«-Lylian, Lylian Johnson.»
Cette fois-ci, la secrétaire releva brusquement la tête. Son visage exprimait un certain mécontentement, comme si on venait de la perturber dans son travail.
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T1 | S'il suffisait que je te le dise...
RomanceTOME 1 «Les rencontres sont comme le vent ; certaines vous effleurent la peau, d'autres vous renversent.» Orpheline, travailleuse, sérieuse. Ce sont sûrement les trois mots qui définissent le mieux Zélina Evans, une lycéenne de seize ans, traînant d...