•Chapitre 19• «Seen from the Moon, it doesn't really matter... (part 2)»

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Je n'étais plus qu'à quelques pas de l'homme désormais. Je sentis mes yeux s'embuer de larmes en revoyant cette fille à travers cet homme, en me revoyant à travers cet homme. Cet homme, c'était moi, il y avait trois ans en avant. Et désormais, les rôles avaient changé. Il était moi et j'étais elle. Cette voix qui devait aider cette personne. Je n'avais pas le choix.

J'obligeai l'homme à me regarder dans les yeux. Il semble sur le point de commettre l'irréparable, l'inconsolable. Il faut que je lui en dissuade.

Je sentis doucement la panique me gagner, mais je tentai de la refouler. Ne pas y céder, c'était le mieux à faire. Rester calme et déterminer. Ne jamais abandonner.

J'avançai encore un peu. L'homme resserra son emprise sur son arme et ses jointure blanchirent sous l'effort. Tous les adolescents retinrent leur souffle dans une unanimité totale. Personne ne bougeait. Le temps fut comme suspendu.

Du coin de l'œil, je vis Evan s'emparer du téléphone, les mains tremblantes. Il appelait la police. Je n'avais pas beaucoup de temps. Au moment où l'homme entendrait les sirènes, il passerait à l'acte. J'en étais sûre. Sa détermination ne faillirait pas. À moins que...

Je fis un pas en avant, mais cette fois, la réaction de l'homme fut bien plus brutale. Il dégaina son arme à feu devant lui, pointée sur moi. Je levai les mains en l'air, par réflexe.

Sans me rendre compte de ce qu'il se passa, je vis quelqu'un se mettre en l'arme et moi. Je reconnus aussitôt Lylian et mon estomac se noua. Et si l'homme tirait ? Les secondes s'étiraient, jouant avec mes nerfs. Derrière Lylian, je n'osai bouger. Je finis par murmurer, doucement, sachant que chaque geste brusque pouvait venir tout gâcher :

«-Lyl', laisse moi s'il te plaît. Je dois lui parler.»

Je ne savais pas ce qu'il m'avait pris de l'appeler Lyl', ni de prendre une telle décision.

Devant la détermination et la confiance de ma voix, Lylian s'écarta mais resta près de moi, protecteur. Pourquoi faisait-il cela ? Je reconcentrai mon attention sur l'homme et murmurai, cette fois en m'adressant à lui :

«-Monsieur, racontez-moi. Expliquez-moi.

-Il n'y a rien à raconter, plus rien, balbutia l'homme, avec un accent étrange, éperdu. Sa voix est grave, comme s'il n'avait pas parler depuis bien longtemps. La vie m'a quitté depuis longtemps, mon enfant. C'est ainsi.»

Le désespoir de l'homme me fit alors prendre conscience qu'il était jeune. Très jeune. Trop jeune. Il devait avoir dans une trentaine d'années, mais le désespoir le vieillissait affreusement. Ses traits étaient tirés par la fatigue et par l'angoisse. Je voyais bien qu'il n'avait plus cœur à rien et cela me bouleversait, tout simplement parce qu'il me rappelait mes années d'errance psychologique. J'étais parvenue à les traverser, mais aujourd'hui, j'étais sûre d'une chose : je ne m'en serais pas sortie seule. Dans ces moments-là, d'ombre et d'obscurité, il faut forcément une personne extérieure, une aide, qui vienne allumer la lumière. Cette aide avait été ma psychologue. Elle avait été bien plus qu'une aide. Elle avait été une amie, une béquille, une bouée, un mouchoir pour éponger mes pleurs.

Cet homme avait besoin d'une aide comme celle qu'elle m'avait accordée et j'étais déterminée à la lui donner. J'étais en face-à-face avec lui, en face-à-face avec le moi d'il y avait quelques années. Je devais lui parler :

«-Voulez-vous vous asseoir, il vaudrait mieux en discu...

-NON !»

L'expression de l'homme changea brutalement. Sa main se referma davantage sur la dégaine. Il tremblait horriblement, comme pris d'un soudain malaise. Des larmes coulaient telles des cascades le long de ses joues, creusant deux longs sillons humides. L'air empestait la solitude et le désespoir. L'homme se contrôlait de moins en moins et je me dis qu'il allait bientôt tirer. J'en eus froid dans le dos.

La main de Lylian se posa sur mon bras, devant cet élan d'agressivité. Son contact me fut agréable et une sentiment de sécurité s'installa en moi. Je ne pus m'empêcher de penser qu'avec lui, il n'arrivera rien.

«-J'ai trop attendu... tant d'années... sans eux... je ne peux pas... je ne sais pas...»

Les paroles du jeune homme étaient confuses et saccadées. Lui-même ne semblait pas comprendre ce qu'il disait. Son tremblement s'amplifia et je crus à deux fois qu'il allait presser la gâchette par mégarde.

Soudain, une lueur d'espoir se fit entrevoir dans les yeux de l'homme. Il détourna alors brutalement son arme et changea de cible. Il appuya négligemment la pointe de l'arme sur sa tempe droite. Il semblait tout à coup déterminer. Je poussai un cri strident :

«-NON ! Ne faîtes pas ça ! Si... si vous ne le faîtes pas pour vous, faîtes... faîtes le pour eux ! Pensez-vous qu'ils aimeraient vous voir comme ça ?»

Je disais tout ce qui me passait par la tête, sans trop réfléchir. Les idées affluaient par vague, mais cela semblait fonctionner, car l'homme avait reporté son attention sur moi.

«-N'abandonnez pas ! Poursuivez votre quête ! Est-ce le bon choix de tout plaquer ? On n'a qu'une seule vie, on n'a qu'une seule chance ! En aucun cas on doit y mettre terme !»

J'avisai la crucifix qu'il portait autour du coup.

«-Seul Dieu a ce pouvoir, n'est-ce pas ?»

Le regard soudain incertain du jeune homme me fit comprendre que je venais d'aborder un point sensible. Je ne me démontai pas pour autant :

«-Oseriez-vous faire offense à Dieu en prétendant prendre son pouvoir en vous ôtant volontairement la vie ? Dieu est le seul à pouvoir le faire. Lui seul peut le faire.»

Je n'étais pas croyante, mais je savais pertinemment que cet homme l'était et que c'était cette religion qui l'obligeait à poursuivre depuis le début.

Lylian avait toujours la main poser sur mon bras. Il semblait tendu, prêt à agir en cas de besoin. Je me demandais toujours pourquoi il abordait ce côté si protecteur envers moi, après ce que j'avais pu lâcher quelques heures auparavant sur lui.

Le bras de l'homme se détendit et il le laissa tomber contre sa hanche, sans pour autant desserrer l'emprise qu'il avait sur l'arme blanche.

Je pris mon courage à deux mains, et continuai :

«-Vous n'allez pas le faire, n'est-ce pas ? Donnez moi cette arme et vous rendrez hommage à Dieu. Laissez lui faire son devoir.»

Cela sembla convaincre l'homme, car il explosa soudainement en sanglots. Ses épaules se soulevaient au rythme de ses larmes.

J'avançai une main devant moi et répétai, doucement :

«-Donnez moi cette arme.»

L'homme finit par lâcher l'arme, qui vint s'effondrer sur le sol, dans un bruit sourd. Ce fut Lylian qui se dépêcha de la ramasser et la mettre loin de l'homme.

Soudain, les sirènes de la police se firent entendre. L'homme ne réagit pas, toujours perdu dans ses longs sanglots.

Tout se passa très vite ensuite. Comme dans un film, les forces de l'ordre débarquèrent en enfonçant volontairement la porte (alors qu'il aurait suffi que leur ouvre, mais bon, il faut toujours qu'elles montrent qu'elles ont le dessus). Ils embarquèrent immédiatement l'homme et le plaquèrent contre le mur, d'un geste brusque. Tête contre le mur, en larmes, les yeux de l'homme me croisèrent et je murmurai, autant pour moi que pour lui :

«-Vu de la Lune, tout cela n'est pas très grave.»

Et, malgré les cris, malgré les pleurs, malgré le bruit, je fus certaine qu'il m'avait entendue.

T1 | S'il suffisait que je te le dise...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant