•Chapitre 52• «Good day, bad news...»

244 38 46
                                    

Lylian retira violemment son bras de ma main. Il remonta sa manche, l'air embêté. Je demeurai les yeux fixés sur son bras désormais couvert. Je ne parvenais pas à avoir une pensée correcte et sensée. Lylian s'était infligé de la douleur à cause de moi. Et cela, je ne pouvais pas le supporter.

«-Je..., commençai-je, sans savoir où j'allais. Je ne savais pas que...

-Que je t'aimais au point de me faire souffrir ? Et bien je suppose que maintenant tu es au courant, termina Lylian, d'un air froid.»

Je ne sus que dire. Je savais qu'il avait entièrement raison. Je ne le croyais pas capable de telles mesures. Sa façon de toujours garder un regard distant et neutre, cette décontraction à toute épreuve, tout poussait à croire qu'il se moquait de tout. Mais apparemment, ce n'était pas le cas.

«-Me laisseras-tu m'excuser maintenant que tu as la preuve que je regrette ?»

Les larmes aux yeux, je dus me retenir de succomber à l'envie de me jeter dans ses bras. Je ne devais pas. Il m'avait trahi, il m'avait menti, il s'était servi de moi.

«-Laisse-moi, je ne veux plus...»

Cette fois-ci, Lylian partit pour de bon, les traits tirés par l'émotion.

Lorsqu'il fut assez loin de moi, je laissai couler mes larmes, avant de prendre la direction de ma maison, sans savoir si la culpabilité surpassait la haine.

***

Plusieurs jours passèrent, toujours plus durs et forts en émotions. Chaque jour, Lylian venait me demander pardon, chaque jour, je le rejetais, toujours avec plus de mal. Je ne voulais plus le voir, était-ce si compliqué à comprendre ? Je n'en pouvais plus de passer mes soirs entiers à pleurer à cause de lui, à cauchemarder en revoyant ses blessures, à l'éviter jour après jour, à le regarder perdre petit à petit le goût de vivre.

Je souffrais de le voir souffrir, mais je savais que je souffrirai encore plus en le pardonnant. Je ne pouvais pas faire cela, cela signifierait que j'avais abandonné toute motivation. Tout ce qu'il me restait désormais, c'était cette haine que j'entretenais envers lui. Sans elle, je m'effondrerai.

Cela faisait une semaine que nous avions repris les cours. Elsa me manquait mais elle cessait de m'envoyer des photos trooooooooooooop cooooooooool des Etats-Unis. Je la voyais s'éclater et je me contentai de lui dire que j'allais bien. Ce qui était faux. Je n'allais pas bien. Je déclinais. Jour après jour, je sentais que je perdais quelque chose. Ma tante, inquiète pour moi, m'avait priée d'aller voir des médecins, ce que, bien entendu, je refusais. Je continuais de me renfermer peu à peu.

Mon amitié avec Lily s'était renforcée et j'avais fini par lui raconter ce qu'il s'était passé dans les grandes lignes. Elle était la seule raison pour laquelle je prenais le bus tous les matins. Sans elle, je savais que je serai restée dans ma chambre, en état d'attente et que je me serais enfoncée dans ce que les médecins appellent si brillamment une "dépression". Je passais le plus clair de mon temps avec elle et j'appris à mieux la connaître. Première de sa classe, nous avions beaucoup de points communs. Elle travaillait beaucoup et avait d'excellents résultats. Ses problèmes familiaux ne l'aidaient pas, mais elle continuait à avoir cette rage de réussir. Je me retrouvai en elle et cela me faisait du bien de passer des heures avec elle.

Aujourd'hui, je commençai par une heure de SVT, avec M. Marton, qui peina à motiver ses élèves. Cependant, il parvint à redonner le sourire à la plupart d'entre nous, lorsqu'il annonça, à la manière d'un présentateur télé :

«-J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c'est que nous allons terminer la géologie en fin de semaine.»

La nouvelle fut accueillie par quelques applaudissements et des rires heureux. M. Marton se fit un plaisir à briser cet état euphorique en relançant :

«-La mauvaise est que l'année prochaine vous commencerez par trois mois de géologie.»

Certains soupirèrent, mais la moitié des élèves se contentèrent d'apprécier le fait que plus personne nous parlerait de cailloux jusqu'à l'année prochaine.

Le cours se poursuivit par des schémas de croûte terrestre. Passionnant. En tournant la tête, je constatai que la place où était assis Lylian d'habitude était vide. Je fis discrètement le tour de la pièce et je fronçai les sourcils en remarquant l'absence de Lylian. Puis, je secouai la tête en me rappelant que je détestais ce gars et que j'allais enfin pouvoir passer une journée tranquillement, sans que personne ne me suive pour me demander pardon.

Quelque peu rassurée, je me rendis en français à neuve heures, presque en souriant. Même si la prof continuait à nous rabâcher les oreilles avec ses poèmes de Baudelaire, je ne pus m'empêcher de penser que cette journée ne serait pas si mal finalement. Le soleil pointait son nez derrière les nuages et il faisait ni trop froid, ni trop chaud. Mêmes les deux heures de français semblèrent passer vite.

J'accueillis le repas du self avec appétit, pour une fois et cela fit plaisir à Lily de me voir manger sans retenue. Je parvins même à lâcher un rire, un peu rauque, mais un rire quand même lorsqu'elle évoqua le mono-sourcil de leur prof d'éco.

L'après-midi commença par une heure d'allemand. La prof nous montra une vidéo (en allemand, sans sous-titre) que nous dûmes commenter par la suite. Cela parlait de la séparation entre RDA et RFA à l'époque de la guerre froide et montrait des familles qui se retrouvaient en 1989, lors de la chute du mur, après près de trente ans de séparation.

En sortant de la salle, quelque chose s'abattit sur moi. Comme une ombre dans ce tableau trop parfait. Ma journée ne pouvait pas bien se passer. Un mauvais pressentiment s'empara de moi et ce fut la boule au ventre que je me rendis en maths. J'étais loin de m'imaginer que j'avais entièrement raison.

Pourtant, la prof de maths nous accueillit avec le sourire et nous débutâmes un nouveau chapitre, sans encombre. Après quelques nouvelles notions de trigonométrie, nous passâmes côté exercices. Jusque là, tout semblait parfait. Soudain, mon ventre se tordit et je dus me mordre la lèvre pour ne pas gémir. Qu'est-ce qu'il m'arrivait ? Pourquoi me sentais-je si mal ?

Quelques minutes passèrent et j'eus un mal fou à me concentrer sur ce que la prof attendait de nous. Il devait être presque quinze heures lorsque le drame arriva.

Le CPE débarqua dans la salle sans même toquer, une mine très inquiète scotchée au visage. Les élèves, y compris moi, cessèrent de travailler, se sentant soudain concerner par cette irruption. Mon ventre refit des siennes et j'eus du mal à garder mon calme. Je sentais la chose arriver, la chose qui allait gâcher cette journée pourtant si bien partie.

Le CPE annonça quelque chose à la prof en chuchotant, si bien que personne ne comprit ce qu'il disait malgré le silence pesant qui régnait dans la salle. Cependant, je pus bien imaginer le ton de ce qu'il disait. Le visage de la prof se contracta dans une mine soudainement triste. Elle semblait abasourdie et choquée par ce qu'elle venait d'entendre. Le pire, ce fut que la première chose qu'elle fit fut de me regarder, moi, avec ce regard désolé que j'avais si souvent vu. Elle ne dit rien. Je parvins de peu à me retenir de hurler d'incompréhension, mais, apparemment, cela leur plaisait de garder le suspens.

Le CPE fut rejoint par le proviseur quelques minutes plus tard. Les élèves avaient compris que quelque chose de grave était arrivé. Des murmures commencèrent à s'élever et des rumeurs furent lancées. Je ne pris pas la peine d'y participer, trop occupée à essayer de contrôler ce sentiment d'impuissance qui menaçait de m'emporter. Je sentais le pire arriver. Et il arriva.

Le proviseur, abordant sa tête des mauvaise nouvelles, finit par mettre fin aux chuchotements de mes camarades. J'avais les yeux rivés devant moi, prête à encaisser la nouvelle qui tomberait.

«-Les enfants, je crains n'avoir pas de bonnes nouvelles.»

Les enfants, cela sentait la pitié à plein nez. Je faillis me jeter sur lui afin qu'il accélère le rythme. L'attente était un calvaire.

«-Votre camarade de classe, Lylian Johnson a eu un accident de scooter ce matin.»

Ma vision se brouilla, mes mains se mirent à trembler inconsciemment.

«-Il est à l'hôpital et je crains que son pronostic vital soit grièvement engagé.»

T1 | S'il suffisait que je te le dise...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant