•Chapitre 48• «Write to forget...»

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"On m'a demandé d'écrire ce que je ressentais. Apparemment, mettre à plat ce que l'on ressent fait du bien et libère de tout. Je n'en suis pas convaincue, mais bon, comme je suis seule et qu'à part pleurer, je n'ai rien à faire, je me suis dit 'pourquoi pas ?'. Pour une fois, je vais suivre les conseils d'un médecin. Miracle.

Alors commençons par le commencement. Je m'appelle Zélina Evans et je crois que c'est tout ce dont vous avez besoin de savoir sur moi.

Je ne sais même pas comment décrire ce que je ressens en ce moment. Facile à dire de la part de médecins sans soucis 'écris sur papier ce que tu ressens, tu verras, ça marche.'. Mais comment écrire quand je ne sais même pas définir par des mots concrets ce que je vis ?

Je vais quand même essayer.

Tout a commencé (ou plutôt a fini) quand je suis entrée dans cette salle. En y entrant, j'ai fait la plus grosse connerie de toute ma vie. Je n'aurais jamais dû prétendre fouiller dans des vies qui ne m'appartiennent pas. J'aurais dû écouter cette voix qui me disait de faire attention. Je suis stupide.

Au fond, en lui disant, j'avais compris que, de toute façon, il me l'aurait dit parce qu'il ne pouvait pas garder cela pour lui. Quoique visiblement, il ne pense qu'à lui et à son orgueil blessé."

Je m'arrêtai d'écrire et barrai rageusement la dernière phrase que je venais d'écrire. Je me détestais de ressentir cette once de culpabilité quand je l'insultais. Je me haïssais encore plus de ressentir encore cette chaleur ardente si douce quand je pensais à lui.

"Je lui ai donné tout ce que j'avais. Je lui ai confié mon coeur et tout ce qu'il a pu faire avec, c'est me le rendre en miettes. Sympa.

Maintenant que je connais le meurtrier de mes parents, je ne vois même plus pour quoi je me bats. Je ne sais plus vers où aller. Je ne ressens plus ce besoin de rester en vie. Je n'ai plus de but, plus vraiment de réelle ambition. J'ai perdu tout ce que j'avais. Je ne sais pas"

Je lâchai mon stylo et relus la dernière phrase que j'avais écrite. Je ne savais pas comment l'achever. Je finis par me dire que je ne devais pas la finir. Cette dernière n'aurait pas de fin et, finalement, même comme cela, elle a du sens.

"Je ne sais pas." Cela résumait parfaitement mon ressenti. Je ne savais pas. Je ne savais pas ce que je ressentais. Je ne savais pas pourquoi je ressentais tout cela. Je ne savais pas quoi faire. Je ne savais pas si je devais avancer. Je ne savais pas quel but atteindre, vers où me diriger. Je ne savais pas. Je ne savais rien.

J'étais perdue et ce n'était pas un euphémisme. J'étais véritablement et incontestablement perdue. En train de chercher une potentielle sortie dans un labyrinthe construit de mensonges et d'apparences trompeuses. Un labyrinthe obscur et sans réelle sortie. J'en vins même à me questionner sur le véritable présence d'un sortie. Pouvais-je espérer sortir de là ? Rien était moins sûr.

Comment sortir de ce labyrinthe de souffrance ? Je trouvais cette phrase tellement belle et réaliste. Elle reflétait bien un état d'âme, une sorte de mal être qui emprisonne et dont il était très dure de sortir.

Je repris mon stylo et me remit à écrire, déversant mes sentiments sur une feuille de papier vierge.

"Je ne sais pas. Je ne sais plus ce que je ressens pour lui. J'ai peur, peur de ce qui va arriver par la suite. Cette peur me ronge. Je ne veux plus entendre parler de lui, plus avoir à supporter ses yeux glaciaux dans les miens, plus sentir son parfum si spécial pénétrer dans mes narines et se répandre en moi, plus éprouver ce soulagement quand cette chaleur intense se fond en moi. Je ne veux plus le voir, ni l'entendre, ni même l'évoquer. Rien que de penser à lui me donne envie de vomir. Je le déteste.

Je me demande ce qu'il faut que je fasse. Fais-je rester cloîtrée dans ma chambre le restant de mes jours ou aurais-je un jour le courage de sortir de cette prison ? Je ne sais pas.

La réponse à toutes les questions que je me pose depuis toujours est 'je ne sais pas'. On ne peut pas savoir. Je viens de trouver une réponse universelle à toutes les questions existentielles et sans réponse : on ne sait pas.

J'ai entendu quelque part que parfois la seule réponse était qu'il n'y en avait aucune. Peut-être est-ce cela la solution. Il n'y en a pas."

Je m'arrêtai une énième fois et relus ce que j'avais écrit. Je me rendis compte que cela n'avait aucun sens. J'enchaînai les idées sans logique au gré de ce que je ressentais. Au moins, cela représentait ce que je ressentais. Celui qui lirait ça sans savoir ce qu'il s'est passé ne comprendrait rien. Tout comme moi, il serait perdu. Perdu parmi ces sentiments indomptables.

"Je me demande comment il a pu me cacher ça. Au fur et à mesure du temps qui passe, je le comprends davantage. Je sais désormais pourquoi il avait un tel blocage sur son passé, pourquoi il refusait de me montrer ses parents, comment il avait su la date de mort de mes parents... Tout me semble logique maintenant.

'Sil suffisait que je te le dise', voilà les mots qu'il a employé en toute fin. Comme si j'allais pouvoir lui pardonner et que tout redevienne comme avant. Je sais que rien ne sera comme avant. Il vient de balayer d'un revers de main tout le monde que je m'étais bâti, toute ma vérité.

Plus rien ne sera jamais comme avant."

À nouveau, je m'arrêtai d'écrire et je regardai fixement la feuille de papier noircie par mon écriture tremblante et humidifiée par mes larmes épisodiques. Je ne voulais pas que quelqu'un la lise. Et encore moins que quelqu'un la comprenne.

Je me glissai à l'extérieur de ma chambre. Ma tante était partie faire deux-trois courses. Éblouie par la lumière soudaine, mes yeux mirent quelques temps à s'habituer à cette vive lueur. Je descendis quatre à quatre les marches de l'escalier, voulant retourner le plus vite possible dans le réconfort menaçant (un oxymore !) de ma chambre. J'avais l'impression d'être un voleur qui venait de s'échapper de sa prison. Et je n'avais qu'une seule envie : retrouver cette prison.

Dans la cuisine, je pris un briquet et remontait dans ma chambre, sans prendre le temps de jeter un coup d'œil au gâteau posé sur la table qui avait pourtant l'air si appétissant. Retrouvant enfin l'opacité de ma chambre, je me laissai tomber sur ma chaise de bureau.

J'allumai le briquet et une flamme ardente en sortit, illuminant ma chambre dans une lueur faiblarde et angoissante. Sur les murs de ma chambre se dessinaient des ombres fantastiques et menaçantes. Je restai quelques instants, les yeux fixés sur cette flamme semblant défier les lois de gravité et vouloir s'élever toujours plus haut.

Finalement, j'approchai cette flamme de la feuille de papier et celle-ci se mit à se consumer dans un bruit de froissement et de braise. Le feu se propagea rapidement sur la surface du papier, brûlant et effaçant chaque mot, chaque phrase, chaque expression. Au fur et à mesure de cette propagation, la feuille se recroquevillait, noircissait puis disparaissait dans une multitude de cendres qui voletaient dans l'air et allaient se perdre dans les recoins de ma chambre.

Une petite fumée s'échappait du brasier qui augmentait sans cesse. L'odeur horriblement amère me rappela immanquablement l'accident de voiture et je fermai les yeux, ceux-ci étant embués de larmes, tant à cause de la tristesse qu'à cause de la fumée.

Bientôt, le feu atteignit la fin de la feuille. Je soufflai et celui-ci s'éteignit dans une dernière lueur. Ma chambre retrouva son obscurité presque complète et je restai assise sur cette chaise encore quelques instants, toujours réchauffée par cette petite flamme qui avait illuminé le temps de quelques secondes mon obscurité.

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Encore un chapitre ! :)

Merci beaucoup pour toutes vos lectures, vos votes et vos commentaires ^^

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T1 | S'il suffisait que je te le dise...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant