Le prof de sport eut beaucoup de mal à nous contenir cette heure-ci, comme si une sorte d'excitation s'était propagée dans notre classe. Sûrement à cause du week-end qui approchait à grands pas.
«-S'il vous plaît, les premières !»
Cela faisait au moins la cinquième fois qu'il tentait de nous rappeler à l'ordre, en vain.
Pour ma part, j'étais plutôt calme et affichais une mine morne. Je n'avais pas encore toucher mot à quiconque de ce que m'avait révélé la psychologue scolaire, pour la simple et bonne raison que je ne savais toujours pas ce qu'il fallait que je fasse.
«-Encore une heure d'attention et vous êtes en week-end.»
Dernière phrase à dire devant une classe surexcitée par le week-end, mais bon, le jeune âge du professeur ne lui permettait pas d'avoir acquis ce genre d'expérience.
«-Bien, vous allez maintenant passer à la réalisation de votre bloc de création que vous devrez faire le jour de votre évaluation. Pour cela...»
Sa voix se perdit dans le vide et mon regard dériva vers l'extérieur et le ciel presque bleu. Le soleil pointait timidement son nez derrière une masse de nuage blanc. Le printemps se faisait sentir. Je songeai à l'homme en question et je me souvins de ce que je lui avais dit "Vu de la Lune, tout cela n'est pas très grave." C'était vrai que, quand on y réfléchissait de plus près, vu de la Lune, la Terre n'est qu'une sphère parmi d'autres, qu'une sphère dans l'infini sombre de l'univers. Et nous, nous n'étions que quelques habitants de cette immensité infinie que nous ne connaissions pas. Alors ma vie dans tout cela ? Avait-elle vraiment d'importance ?
Je fus tirée de mes réflexions cosmiques par le coude d'Elsa qui m'ordonna de lever "mes miches" afin de faire du step. Je jetai un regard en direction de Lylian, qui était dans le groupe de Théo, Julian et Arthur. Il perçut mon regard et releva la tête. Nos yeux se rencontrèrent et je me rendis compte que ce genre de contact devenait une sorte d'obsession, quelque chose qui me provoquait un manque quand j'étais loin de lui, une sorte de drogue...
Lylian me sourit et je sentis mon cœur battre la chamade. Même après un mois, ce garçon me fera toujours cet effet ravageur !
***
La fin du cours fut accueillie avec une joie infantile de la part de tous les élèves. C'était dingue comme il en fallait peu pour rendre un élève heureux. Un simple "bon week-end" et une allégresse immense irradiait les élèves. Deux mots qui suffisaient à redonner le sourire au plus déprimé. C'était intemporel. C'était partout pareil.
En sortant du gymnase, pourtant, Elsa soupira. Elle devait être une des seules adolescentes à soupirer en se rendant en week-end.
«-Pourquoi tu tires cette tronche ? demanda Evan, toujours aussi enthousiaste (je ne le répéterai jamais assez, mais ce mec était une boule de joie). On est en WEEK-END !»
Elsa soupira de manière élégiaque une nouvelle fois, puis s'expliqua, avec dans sa voix une espèce de lassitude. On aurait dit n'importe quel élève de première S à qui on apprenait que l'on entamait la partie géologie en SVT.
«-Je vais encore passer une weekend ENTIER chez mon ADORABLE tante et ses trois SUPER enfants...»
Elle n'avait pas parlé avec des majuscules, mais elle avait fortement insisté sur ses mots.
Je savais qu'elle parlait de sa tante, Rachelle, avec qui elle n'entretenait pas une très bonne relation. Mère de trois enfants (trois garçons) pourris gâtés, elle n'aimait pas vraiment Elsa qu'elle traitait comme une moins que rien (du moins, c'est ce que me disait Elsa sur elle).
Elsa reprit, toujours avec cette mine déprimée :
«-Et vous ? Dîtes moi que vous faites des trucs cools ce week-end !»
Evan prétendit vouloir se repasser l'intégralité de la série Game of Thrones, autant dire qu'il en avait bien pour deux jours. Parallèlement, le visage de Lylian s'illumina et, avec un sourire en coin, qui était devenu une de ses spécialités, il lança :
«-Je pense que je vais aller voir Zélina ce samedi pour lui faire une surprise.»
Je rougis et je le vis sourire, satisfait. Elsa fronça les sourcils, et le remballa, gentiment :
«-Techniquement, maintenant que tu lui as dit, ce n'est plus une "surprise".»
Lylian m'attrapa par la taille, ce qui me fit rougir davantage, et reprit, toujours la répartie à la bouche :
«-Je ne comptais pas m'inviter chez elle, sans qu'elle soit au courant.»
Sa voix suave me fit frémir.
Je le laissai passer sa main sous mon T-shirt, gênée. Je n'étais pas vraiment à l'aise avec les marques d'amour comme celle-là. En sentant sa main sur ma peau, un long frisson me parcourut le dos et, comme s'il avait perçu mon mal être, Lylian retira sa main, un peu trop brusquement.
Elsa et Evan finirent par partir de leur côté, un vers son arrêt de bus, l'autre vers le parking.
«-Bon, passez un bon weekend alors ! À lundi !»
Une légère tension venait de s'installer dans l'air et Lylian ne souriait plus. Je détestais le voir comme ça. Je savais qu'il ne voulait pas me forcer dans cette relation, mais j'étais comme cela, j'avais besoin de temps. Le temps d'apprivoiser l'autre...
Une scène de St Exupéry me revint en tête, une de mes scènes préférées de mon livre préféré (ça fait beaucoup de préféré dans une phrase) :
L'enfant s'approcha du renard et lui dit :
"Qu'est-ce que ça signifie apprivoiser ?"
Le renard se tapit dans l'herbe et sembla réfléchir.
"C'est quelque chose de trop oubliée. Ça signifie «créer des liens»..."
Un peu confuse, je murmurai, autant pour moi-même que pour Lylian :
«-Désolée... Je... Je ne suis pas très à l'aise avec... tout ça...»
Lylian secoua la tête, compréhensif et nous marchâmes jusqu'à l'arrêt de bus, sans parler.
Lorsque nous n'étions plus qu'à quelques mètres de l'arrêt, Lylian me prit à part, et, toujours avec cette même précaution protectrice, il replaça une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille, avant de murmurer :
«-Tu sais Zélina, si tu n'es pas prête ou que tu ne veux pas, je... Je comprendrais...»
Je secouai la tête, ne voulant pas qu'il pense ça. Je voulais vraiment qu'on sorte ensemble. Vraiment. Je me sentis rougir lorsque je lui assurai, aussi sincèrement que possible :
«-Non, je te jure, ça va. C'est juste que... je ne suis pas très... tactile...»
Lylian sourit, puis se pencha vers mon visage, doucement. Je le laissai faire et, pour lui montrer qu'il se trompait, je lui offris mes lèvres, sentant mon cœur s'emballer.
***
Durant le trajet en bus, je racontai à Lylian ce que m'avait dit la psychologue scolaire quant à l'homme de la soirée et son étrange connaissance sur moi et mes parents. Cela sembla tout autant le choquer que moi et un pli soucieux lui barrait désormais le front.
«-Je ne sais pas quoi faire, terminai-je, presque plus perdue maintenant qu'il y avait quelques minutes.»
Lylian resta silencieux un petit moment et finit par dire, solennellement :
«-Écoute Zéli, ce choix, il n'y a que toi qui puisse le faire. Juste...»
Il semblait de plus en plus inquiet, comme s'il en savait plus que moi sur cet homme.
«-Fais attention à toi. Tu sais, dans la vie, il peut y avoir des gens... disons... bizarres...»
Il finit par un sourire convaincant et je me promis d'y réfléchir par deux fois avant de prendre une telle décision.
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T1 | S'il suffisait que je te le dise...
RomanceTOME 1 «Les rencontres sont comme le vent ; certaines vous effleurent la peau, d'autres vous renversent.» Orpheline, travailleuse, sérieuse. Ce sont sûrement les trois mots qui définissent le mieux Zélina Evans, une lycéenne de seize ans, traînant d...