•Chapitre 53• «Just a break...»

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«-Zélina ?»

Une voix me parvint de très loin, parmi un brouillard épais d'incompréhension. J'étais vide, vide de toutes émotions. Je ne ressentais plus rien. Je sentis quelqu'un me soulever et je compris que j'avais dû tomber sur le sol. À vrai dire, je ne l'avais même pas senti. À travers mes yeux brouillés, je vis vaguement le paysage défiler sans en reconnaître les motifs. C'était simplement une succession de couleurs verdâtres, uniformes, sans vie.

Quelques secondes passèrent sans que j'en eus l'impression. On me déposa sur une sorte de banquette pas du tout confortable et j'entendis vaguement quelqu'un décrocher un téléphone. Sûrement allait-on prévenir ma tante. Je n'arrivais pas à sortir de cette espèce de transe qui refusait tout mouvement de mon corps. Je ne dominais plus rien. Ni mes gestes, ni mes pensées, rien du tout. J'étais soumise à cet état d'incapacité.

Ma tante arriva vers seize heures. En tout cas, ce fut l'heure que je lus sur l'horloge accrochée au mur en face du lit sur lequel on m'avait déposé. Je n'avais pas bougé depuis près d'une heure. L'infirmière avait tenté de me parler, mais je ne lui avais rien dit. Je n'avais rien à dire. Ma tante sembla comprendre cela car elle ne me posa aucune question durant le trajet du retour. Je savais qu'elle avait dû quitter le boulot pour moi et que son patron ne serait pas content. Je m'en voulais un peu qu'elle ait à vivre cela.

«-Est-ce que tu veux que je reste avec toi ?»

Sa voix était douce et calme. Elle avait les yeux rivés sur la route, comme si elle s'attendait à voir un obstacle débarquer sous sa roue à tout instant. Depuis que je vivais avec elle, ma tante n'était pas vraiment à l'aise au volant. Cela pouvait se comprendre...

«-Non, c'est bon. J'ai juste besoin de... réfléchir...»

Ma tante acquiesça sans insister. Elle avait confiance en moi, elle savait que je ne ferai pas de bêtise en sans absence.

Elle me déposa en double-file près de chez nous, puis repartit, après m'avoir redemandée si je voulais être seule. Ce qu'elle ne comprenait pas, c'était que je ne voulais pas être seule, j'avais besoin d'être seule. Un besoin compulsif et inconscient.

Je me retrouvai donc seule devant la maison de ma tante, sans avoir envie de rentrer. Sans vraiment être à nouveau maîtresse de mes mouvements, je déposai mon sac dans le hangar où ma tante garait sa voiture habituellement et décidai d'aller courir. J'avais besoin de sentir mon corps faire quelque chose tandis que mon esprit divaguerait sans but. Le sport était idéal pour cela. Quand on fait du sport, on se concentre sur l'instant présent et sur rien d'autre.

Afin d'éviter à mon esprit tout occupation, j'attrapai mes écouteurs et laissai la musique envahir mon cerveau engourdi. J'empruntai un de mes sentiers préférés, celui qui traversait un champ où logeaient des chevaux. Quand on passait par là avec Rika, on avait pour habitude de s'arrêter devant ce champ, juste pour regarder les chevaux courir. Ces derniers avaient une certaine grâce quand ils couraient. J'avais toujours aimé les regarder.

Je me mis donc en chemin, musique à l'appui. J'avais enclenché une playlist de musiques que je ne connaissais pas afin de mettre vraiment mon cerveau en pause. Je ne voulais pas qu'il se force à chercher le titre ou encore les paroles des chansons, je voulais juste m'accorder une pause, une coupure, une évasion. Un instant de liberté.

Je traversai le lotissement où nous logions. L'avantage de courir à seize heures étaient qu'il n'y avait personne dans les rues. Tous travaillaient et vaquaient à leurs occupations quotidiennes. J'étais la seule ici qui sortait de la routine habituelle. J'étais là au lieu d'être en cours. Et lui était sur un lit d'hôpital au lieu d'être au lycée...

À cette pensée, mon coeur se rétracta et je fus parcourus par une vague de désespoir. Des larmes de colère et de tristesse se mirent à couler sur mon visage. Alors c'est comme ça que cela allait finir ? Lylian parti et moi toujours en vie ? Pourquoi cela devait être toujours comme cela ? Et pourquoi, pour une fois, n'était-ce pas moi qui partais et qui laissais les autres me regretter ?

La tristesse laissa vite place à l'indignation. Il n'avait pas le droit de faire cela ! Il n'avait pas le droit de partir comme cela et de me laisser seule à regretter ce qu'il s'était passé ! Je me rendis alors compte de la portée égoïste de mes paroles. Lylian était entre la vie et la mort et la seule personne à laquelle je pensais, c'était moi. Moi et ce que j'allais devenir. Je m'écœurai de devenir un tel monstre qui ne pensait qu'à soi.

Tout en m'enfonçant toujours plus loin dans le sentier de randonnée, j'eus une pensée pour les parents de Lylian et cela raviva mes pleurs. Les parents de Lylian, les meurtriers de mes parents. Que devaient-ils penser en ce moment-même ? Qu'avaient-ils pensé le jour où mes parents sont morts ? Elle, sa mère, la femme qui avait aimé mon père, comment avait-elle pu laisser son mari faire cela ? Si elle l'aimait vraiment, comme se faisait-il qu'elle ait accepté une telle chose ?

Malgré la musique, malgré mon essoufflement croissant, mes pensées continuaient à tourner en boucle dans ma tête sans fin. Cela me rendait folle. J'avais presque envie de me frapper la tête contre un arbre pour y mettre fin. Je me rendis alors compte que la course était bien plus qu'un sport. Elle permettait de fuir. Fuir la réalité oppressante. Elle représentait réellement, au sens littéral, la fuite. Elle était la retranscription de la volonté d'échapper au monde environnant. Elle représentait un chemin de sortie, le symbole d'une liberté atteignable, elle offrait à l'homme une façon d'esquiver tout ce qui lui tombait dessus, elle offrait une issue de secours.

Lorsque je fus arrivée au champ des chevaux, je m'assis dans l'herbe, les yeux fixés sur ces bêtes si majestueuses qui paissaient tranquillement. Rien ne pouvait les déranger. Elles avaient de la chance, la chance de ne pas avoir une conscience humaine. Ne pas penser est une chance. Penser est un don.

Un coup d'œil sur mon téléphone m'apprit qu'Elsa s'amusait vraiment beaucoup, là-bas, aux Etats-Unis, loin de ce monde terne et sans couleur. Je ne lui répondis pas, parce que j'étais lasse de lui mentir et je ne voulais pas lui raconter ce qu'il se passait ici. Elle n'avait pas à subir cela. Et puis, je ne savais pas comment lui apprendre cela "et devine quoi ? Le connard en qui j'avais toute ma confiance est entre la vie et la mort. Sinon ça va ?". Non, je m'imaginais très mal lui dire cela. Je préférais me taire.

Après quelques minutes à regarder les chevaux brouter, je décidai de me remettre en route vers la maison. Je voulais être rentrée avant ma tante. Elle avait déjà assez de soucis comme cela, je ne voulais pas en rajouter. Je rentrai donc au pas de course, un peu plus rapidement et fis tout mon possible pour éviter de trop penser. À ma grande surprise, cela marcha et je pus savourer l'air qui me sifflait au visage sans penser au moment où cela s'arrêterait. Je dus avouer que c'était très agréable de ne pas penser.

Sur le chemin du retour, je croisai plus de personnes si bien que je tentai d'avoir l'air d'une simple fille sportive (difficile dans mon cas) ayant envie de prendre l'air. Personne ne m'accosta, inquiet de savoir ce que j'avais, ce qui était bon signe.

Calmement, je bifurquai dans l'allée où j'habitais et fus rassurée en constatant que la voiture de ma tante n'était pas encore garée. J'accélérai néanmoins et franchis le portail en un petit sprint final qui m'acheva. Après avoir récupéré mon sac, je m'effondrai devant la porte d'entrée, pour défaire mes lacets. On aurait dit que je venais de courir un marathon.

Soudain, mes yeux se posèrent sur la paillasson "bienvenue" qui décorait notre entrée, ou plutôt sur ce qu'il y avait sur ce paillasson "bienvenue". Une lettre, une simple enveloppe vierge, blanche, sans indication. Sans en connaître la raison, mon estomac se noua et je me saisis de cette mystérieuse lettre, les mains tremblantes. Je déchirai l'enveloppe et en sortis le contenu, un feuille de papier, pliée à la main, couverte d'une écriture que je connaissais que trop bien.

Inconsciemment, je lus les premiers mots et me mis à pleurer.

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Hey ! Désolé pour ce chapitre un peu tardif ^^'

J'espère qu'il vous a plu ! La suite : demain :)

LetTheMagicHappen

T1 | S'il suffisait que je te le dise...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant