•Chapitre 18• «Seen from the Moon, it doesn't really matter... (part 1)»

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L'homme s'avança de quelques pas dans le grand salon. Quelques adolescents osèrent chuchoter, mais bientôt le silence se fit, donnant l'impression de se trouver dans une immense pièce, vide. Cependant, l'ambiance était étouffante et elle empestait la mort. L'envie de mort plutôt. Je le ressentis dès que je croisais le regard de l'homme : il avait irrémédiablement envie de se donner la mort. Ses yeux n'inspiraient qu'à se fermer une fois pour toute, faisant disparaître toute douleur, toute peine, toute souffrance.

«-La mort rime avec délivrance. J'ai connu cela moi aussi.»

L'homme se tourna vers moi. Je me rendis compte en même temps que lui que j'avais parlé à voix haute. Il me dévisagea et une explosion d'émotions traversa ses yeux. Soudain, telle une violente bourrasque, je me retrouvai projetée trois ans en avant.

L'aiguille tourne lentement sur l'horloge blanche de ma chambre. Elle tourne ainsi depuis près de trois jours. Elle ne s'arrête pas et moi je suis là, à l'observer, sans relâche. J'attends. J'attends que tout finisse. Des médecins passent. J'entrevois des aiguilles s'enfoncer dans ma peau, je crois entendre des voix me parler, je perçois une légère piqûre sur mon bras gauche. Mais ce sont des sensations fantômes face à la douleur qui, jour après jour, me ronge entièrement. Elle est réelle. Elle est violente. Elle est en moi. Elle me dévore et, tôt ou tard, elle en finira avec moi.

Il me semble que quelqu'un vient de s'asseoir à côté de moi. Mais cela n'a aucune importance. L'horloge, elle, en a. Le temps a de l'importance. Il en a toujours eu et en aura toujours. C'est la seule chose qui a de l'importance. La seule chose qui vale la peine d'être considérée. Je ne sais pas quelle heure il est, mais l'aiguille, elle, semble poursuivre sa route, sans s'en soucier. Tant qu'elle avance, la vie continue.

La personne assise près de moi me force à me lever. Enfin, forcer est un grand mot parce que je me laisse faire avec la souplesse et la servitude d'un automate. Elle me traîne jusqu'à la salle attenante à la mienne. Je consens à lâcher du regard l'horloge.

Finalement, je me retrouve face à une fille, plutôt jeune. Cette fille est franchement laide. Le pire chez cette étrangère ce sont ses yeux. Ils sont vides. Vides de toute énergie. Vides de vie. Toutes sortes d'émotions les traversent, mais aucune semble prendre le dessus et lui donner assez d'énergie pour se lever et se battre. Tout montre sur son corps qu'elle a abandonné. Ses énormes cernes, ses bras ballants, ses épaules voûtées, sa maigreur effrayante, ses cheveux mal peignés, et ses yeux vides.

J'entends une voix. Vague et lointaine. Je ne sais pas ce qu'elle veut dire. Je recule de quelques pas, effrayée et la personne en face de moi, fait de même, avec la même expression sur le visage. Je n'ai plus de mots. Je titube et m'effondre dans les bras du propriétaire de la voix. Ce dernier me ramène dans ma chambre et me rassit sur le lit blanc. Les draps sont blancs. Les oreillers sont blancs. La couverture est blanche. Tout est blanc. C'en est presque effrayant.

Je reprends mes esprits mais le même brouillard s'empart de moi. La voix reprend. Je ne saisis pas tout ce qu'elle me dit. Je n'en comprends que quelques mots. Psychologue. Aider. Sortir de là. Ne pas abandonner. Des affirmations faciles à énoncer. Beaucoup plus dures à mettre en œuvre.

Finalement, la personne s'agenouille devant moi et tente d'attirer mon attention. Elle plante ses yeux dans les miens, mais je suis trop loin pour voir quoique ce soit. J'entends pourtant très distinctement sa voix. "Vu de la Lune cela n'est pas très grave, non ?"

C'est la première phrase concrète qui m'arrive depuis ces trois jours. Je la perçois entièrement, sans coupure, sans grésillement. Elle me semble réelle, proche. Pourtant, il me faudra bien une dizaine de jours pour en saisir le sens et une dizaine de mois pour me dire qu'elle avait raison.

La personne part. Je reconcentre mon attention sur l'horloge blanche. L'aiguille continue sa course contre le temps. Elle ne s'arrêtera pas. Rien ne peut arrêter le temps. Quoi qu'il se passe sur Terre, le temps domine et poursuit son chemin, bousculant et meurtrissant tout sur son passage. Le temps tue. Le temps est un meurtrier. La voix revient. Distinctement.

"Vu de la Lune, cela n'est pas très grave."

Je me rassieds et, pour la première fois depuis trois jours, j'explose en sanglots. Je pleure. Je délivre tout ce que j'ai. Je laisse couler mes larmes pendant deux jours durant. Je me lave de tout. Je purifie tout. J'enlève tout. J'efface tout. Je recommence à zéro.

Deux jours passent et elle revient. Elle refait exactement la même chose qu'à notre première rencontre. Elle m'emmène devant cette fille si laide. Souvent, je fais une crise et m'évanouit. Elle n'abandonne pas, elle, et me rallonge dans mon lit.

Tous les jours, elle revient. Tous les jours, cela reprend. Mais, tous les jours, j'ai l'impression que la fille en face de moi prend des couleurs, se renforce, s'embellit. Ses joues se pulpent, ses cernes rétrécissent, ses yeux s'emplissent d'éclairs fugaces, mais vivants. Jours après jours, je me sens moi-même mieux. Je tiens plus longtemps. Je tombe moins souvent. Il arrive que je revienne moi-même dans mon lit. La force revient. L'énergie aussi. Il me faudra environ un an de travail acharné pour me reconstruire, autant physiquement que mentalement. Un an pour me trouver de nouveau. Un an à apprendre de ne pas abandonner. Un an pour comprendre véritablement que vu de la Lune, cela n'est pas très grave.

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La suite prévue pour dimanche ^^

LetTheMagicHappen ;)

T1 | S'il suffisait que je te le dise...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant