Chapitre 8 ~ Qui a tué le voisin d'à côté ?

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Cela fait bien dix minutes que je regarde les gens s'affolant dans la rue. La pluie vient de s'abattre, prenant au dépourvu l'ensemble de la population. Y'en a qui courent, y'en a qui sortent leurs parapluies parce qu'ils étaient parfaitement préparés et y a ceux qui marchent. Tout simplement. De toute façon, mouillé pour mouillé comme on dit...

— Marguerite ? Tu veux bien apporter ce dossier à Laurène ?

— Ouais...

J'attrape la pile de documents et me lève enfin de ma chaise, la première fois en trois heures. À ce rythme-là, j'aurais des hémorroïdes. Passant dans le couloir, j'évite de justesse Robert aux mains baladeuses et je suis bien contente d'avoir des notions de self-défense au cas où ce type poserait ses doigts grassouillets sur mes courbes. Mon corps est un temple et personne n'est autorisé à le profaner ! Deux coups à la porte suffisent avant que je n'entende :

— Entrez.

Un ton sec. Sévère. Le ton bien aimable de ma vénérable et ô grande patronne. Ma tutrice de stage au passage. Je devrais la réussite de nombreuses années de labeur à cette femme qui ne pouvait pas me blairer. Elle me dévisage tandis que j'entre dans son bureau, elle me dévisage tout en se goinfrant d'un croissant.

— Ah. C'est toi.

Non. C'est le pape. Quelle amabilité, comme toujours.

— Je vous apporte le dossier de...

— Pose-le là.

Je m'exécute sans la quitter des yeux et au moment où je m'apprête à repartir aussi vite que je suis arrivée, je l'entends dire :

— Tu sais Marguerite... Tu es comme ce croissant.

— C'est-à-dire ?

— Tu as été faite sans le vouloir et tu seras mangé sans aucun plaisir.

Était-ce supposé me rassurer ou me terrifier ? Tout ce que je vois c'est une secrétaire ressemblant à un rôti de porc dans ses collants filets et tentant de faire une comparaison foireuse entre un croissant et moi-même. Sans effet et elle le sait bien, étant donné que je ne sourcille même pas. Néanmoins, elle a le plus grand bureau du service, elle gère les stagiaires et si elle ne ressemblait pas à la « Dame marieuse » dans Mulan, je crois que cela ferait longtemps que ma franchise aurait dépassé les bornes en lui disant ce que je pense. Comme par exemple : on ne compare pas les stagiaires avec la nourriture !

— Est-ce que ton petit cerveau a, au moins, compris le message que j'essaye de lui transmettre ?

— Mais totalement. Je suis un croissant.

— Excellent. Retourne au travail maintenant.

Exploitante ! Esclavagiste ! Ça n'a aucun sens ce qu'elle vient de dire. Un soupir m'échappe en refermant la porte derrière moi et je prie chaque seconde le Bon Dieu pour que les aiguilles sur l'horloge avancent plus vite.

Et c'est exactement le même refrain qui se répète le lendemain, mais cette fois j'ai évolué, je ne suis plus un croissant, mais une brioche. Je présume que c'est plutôt flatteur, même si je ne vois toujours pas où elle veut en venir. Peut-être qu'un jour je comprendrais et encore, je me demande, si au fond, je veux comprendre. Je ne crois pas non.

Nous ne sommes qu'en début de semaines et je suis déjà épuisée. Lessivée. Morte. Cuite. Tout ce que vous voulez du moment que cela traduit un état de fatigue intense. En rentrant, je surprends mon voisin trempé jusqu'à l'os dans l'ascenseur. Au moins, en le voyant lui et sa tête, je suis rassurée par ma propre condition.

— Vous avez une mine horrible.

— Vous aussi.

Je présume que c'est notre façon de nous saluer maintenant. Soudain, il s'écroule au sol, au beau milieu de l'ascenseur, à mes pieds.

— Putain ! Vous ne pouvez pas mourir chez vous, c'est trop demander ?

On arrive au 5ème étage et je suis à deux doigts de le laisser là, mais je suis saisie d'un élan de générosité. J'attrape ses chevilles, le traîne, tel un cadavre dont on chercherait désespérément à se débarrasser. Je n'ai pas la force de faire le moindre effort et il devrait être reconnaissant. À ce moment-là, Madame Jolop sort de chez elle et pousse un cri d'horreur.

— Marguerite ! Mais qu'as-tu fait ? Malheureuse !

Je ne l'ai pas tué. J'en rêve... Mais je ne l'ai pas fait.

Même ma voisine n'a aucune confiance en moi. C'est beau le voisinage !

— Est-ce qu'il est...

— Refroidi ? Totalement.

Je sais que cela porte à confusion, mais c'était plus dans le sens que cet abruti à certainement attrapé un coup de froid, rien d'autre.

— Que vas-tu faire ?

— Bah le ramener chez lui ! C'est évident non ? J e ne traîne pas son corps au sol, juste par pur plaisir, voyons !

— Et tu vas le laisser là ? Seul ?

— Bah oui, pourquoi ? Je suis censée faire quoi ?

— T'en occuper.

M'en quoi ? Hors de question. En plus d'être accusée injustement de meurtre, me voilà en train de le fouiller à genoux par terre.

— Marguerite, mais que fais-tu ?

— J'attrape ses clés !

— Mais tu as tes mains... Enfin...

— Madame Jolop ! Mes mains sont dans ses poches. Si vous avez une meilleure idée, dites-le ! Je suis preneuse.

C'est là que je m'aperçois que je serais une bien piètre tueuse en série. Aucun talent, pas même pour voler des gens allongés dans le couloir de mon immeuble.

Une fois que je mets la main sur ses clés, j'ouvre la porte, sans prêter grande attention au décor et le traîne jusqu'à la moquette de son salon. Beurk, de la moquette. Je déteste la moquette. C'est plein d'acariens.

— Bon, j'ai fait ma part. Faites la vôtre un peu !

Je me retourne pour faire face à une énorme et imposante bibliothèque débordante de livres. Même moi je n'en ai pas autant. C'est impressionnant. Comment peut-on avoir autant de livres ? C'est dans ces moments-là que je me rends compte ou que je prends enfin conscience qu'il est vraiment éditeur. Il ne lit pas lui, il mange les livres. D'ailleurs, je me suis toujours demandé comment les gens faisaient en général, pour en avoir autant. Était-ce une passion ? Une sorte de lubie de les collectionner ? Pouvait-on réellement avoir lu tout ça en une vie ? Arrête de réfléchir Marguerite. M'apprêtant à repartir, je ramasse mes affaires que j'avais laissées à l'entrée et referme la porte derrière moi. Hors de question que je m'en occupe. Il ne manquerait plus que ça. Il est bien assez grand pour se soigner tout seul.

— Alors ? Est-ce que...

La voix de Madame Jolop me surprend. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit encore là, sur le seuil de nos deux appartements. Je la regarde, avec mon sourire « psychopathe ».

— J'ai balancé son corps par la fenêtre. C'était plus pratique que de le traîner, n'est-ce pas ? Sur ce, bonne soirée !

Et referme la porte derrière moi. Je n'imagine même pas les commérages qu'il va y avoir maintenant. Je ne serais pas surprise de voir la police débarquer chez moi d'une minute à l'autre. Marguerite Deschamps, esclave le jour, écrivain la nuit et tueuse psychopathe à ses heures perdues. Je trouve que ça sonne plutôt bien moi ! Ça me plaît bien !

Le voisin d'à côté - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant