Chapitre 3 ~ Vie en société

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Tournoyant sur ma chaise de bureau en mâchouillant un crayon de papier traînant là, je commence à échafauder secrètement plusieurs plans pour me débarrasser de mon voisin. Cela fait quelques mois déjà que nous occupons des appartements mitoyens et je n'en peux plus alors que je suis certainement celle qui avait le plus d'ancienneté dans cet immeuble. Je ne déménagerai pas, non, mais lui, il va refaire ses cartons.

— Encore en train de rêver Marguerite et le trav...

— Tout est classé, trié, ordonné, jeté, découpé, décomposé, rangé.

Au boulot c'est la même rengaine de toute façon.

Dès que l'on voit Marguerite s'ennuyer, il faut lui donner du travail ! C'est vital de la maintenir occupée. La pauvre, elle n'a pas assez à faire. Mais bon, je dois relativiser. J'ai vraiment galéré pour trouver ce stage, car n'ayant pas spécialement d'expérience et n'étant pas non plus la meilleure dans mon domaine, c'est compliqué de trouver une bonne formation de fin d'études. Même si je me débrouille pas mal dans ce que je fais, je reste contente d'avoir pu décrocher un poste dans le service marketing de cette société. Un siège social en plein centre-ville, ça ne se refuse pas. C'est à vingt minutes de chez moi, en métro, et puis la vue est plutôt pas mal. On voit presque tout d'ici. Pareil, le service est assez important, mais, étant cantonnée dans les mêmes tâches, je vois constamment les mêmes visages. Tous les jours. Alors maintenant, j'ai pris mes repères. Et puis dans quelques semaines, j'en aurai terminé avec cet enfer et il ne me restera plus que mon rapport de stage à taper. Enfin. J'ai l'impression de dire au revoir à une grosse, très grosse écharde.

En plus du boulot, secrètement, dès que j'ai cinq minutes, je me suis mise à écrire la suite de « Vanille & Chocolat », plutôt la fin qu'autre chose, car au bout de 25 chapitres, on ne peut pas dire que c'est une suite. J'envisage de prendre une pause après. Mathilde a raison, il faut que je me recentre sur moi-même et écrire des livres cochons c'est bien, ça paie les factures, mais ça ne fait pas avancer le monde ! Je dois envisager une nouvelle série. Je devrais même songer de sortir des ebooks maintenant. De plus en plus de gens se mettent à lire sur tablette ou téléphone, il est temps que je me modernise. Je devrais envoyer un mail à mon éditeur. Éditeur que je n'ai jamais rencontré d'ailleurs.

Par moment je me demande comment un mec, sur Terre, peut autant avoir confiance en moi. Il ne sait pas qui je suis réellement, ni même à quoi je ressemble, mais tant que je respecte les délais et les termes de mon contrat, tout lui va. Il est bien simplet. À sa place, j'aurais au moins demandé une entrevue. Juste pour voir. Mais bon, c'est bien pour ça que j'ai signé chez « Volupté » pour avoir ma tranquillité.

Sur le chemin du retour et en entrant dans l'immeuble, j'aperçois mon charmant et incroyable voisin attendant devant l'ascenseur. Je manque de m'étouffer en pensant ça. Marguerite, reine de l'ironie.

— Bonsoir.

Je ne lui réponds pas. Après tout le calvaire qu'il me fait vivre, il est hors de question que je lui adresse la parole ne serait-ce que pour le saluer.

— Vous m'en voulez encore pour hier soir ?

Non, je tire la tronche naturellement. Faire la gueule est une qualité pour moi.

Néanmoins, c'est la première fois que je le vois avec une sorte de cartable de travail en cuir. Il pourrait presque être professeur avec son look polo et mocassins. Les portes de l'ascenseur s'ouvrent enfin et je m'engouffre la première à l'intérieur sous son air surpris.

— Les femmes d'abord. Vous ne connaissez donc pas la courtoisie ?

Il soupire et finit par me rejoindre. Je déteste cet ascenseur. Il est soi-disant prévu pour transporter cinq personnes, mais on est déjà collé alors que nous ne sommes que deux et cette violation de mon espace intime me frustre énormément. Encore heureux que la montée ne dure quelques secondes. Une fois arrivés à l'étage, nous nous précipitons à l'extérieur, mais les portes ne sont pas faites pour laisser passer deux personnes simultanément et nous bloque totalement l'un contre l'autre, épaule contre épaule.

— Laissez-moi passer !

— Vous, laissez-moi passer !

— Je suis entrée la première !

— Eh bien vous pouvez bien ressortir la dernière !

— Jamais de la vie. Les femmes d'abord !

— On n'est pas sur le Titanic ! Faites un effort bon sang !

— Je pourrais vous dire la même chose !

Je remarque alors que Madame Jolop nous dévisage depuis tout à l'heure, tremblante sur sa canne, son visage illuminé par un sourire amusé.

— Eh bien les jeunes... Un souci ?

— C'est de sa faute !

Encore du simultané, tiens !

On se pointe du doigt tandis que la vieille femme nous rit à la figure.

C'est vrai que nous n'avons plus l'âge pour ces enfantillages et pourtant, sur le moment, on ne peut s'en empêcher.

— Vous êtes mignons. Bonne soirée à tous les deux et ne bloquez pas l'ascenseur !

Comme si j'allais rester là toute la soirée. Je pousse sur mes maigres petits bras, aussi costauds qu'un flan et arrive à passer de force la première tandis qu'il bascule en avant, ratant de s'effondrer au sol. J'aurais ri s'il était tombé.

Je pénètre dans mon appartement, poussant un gros soupir.

Enfin chez soi.

Ce soir, il n'y a aucune musique, aucun bruit.

Hallelujah, il a compris !

De toute façon, j'aurai appelé les flics s'il avait recommencé. Je peux me mettre au travail, café sur le bureau, serviette sur la tête, peignoir et pantoufles aux pieds. Un peu de calme n'a jamais fait de mal. Après avoir passé des heures à fixer un point final à mon récit, il est grand temps que je réponde à mon éditeur.

« Bonsoir,

Vous trouverez ci-joint en guise de nouvelles, les derniers chapitres de « Vanille & Chocolat ». Je vous enverrai une version corrigée et réécrite par mes soins dans les jours à venir. Je vous suis reconnaissante, comme toujours, de m'accorder votre confiance et vous remercie de votre dévouement.

Cordialement,

Fleur. »

Et voilà le travail ! Maintenant que c'est fait, je peux aller me coucher l'esprit en paix.

Puis, il y a ce bruit, celui d'une notification reçue, d'un email arrivé. Je double clique sur l'encadré et découvre avec stupeur que mon éditeur, « William », me répond. À croire que je ne suis pas la seule à veiller tard.

« Bonsoir Fleur,

En vous remerciant de votre dur labeur. Je lirai vos pages au plus vite et avec autant de plaisir qul'usuel. Il me tarde d'avoir la version finale.

Portez-vous bien.

Cordialement,

William des Éditions Volupté. »

Lui au moins, il sait être aimable comparé à une certaine personne que je ne citerai point, mais à qui je pense fortement à l'heure actuelle. D'ailleurs, je ne sais même pas pourquoi je pense à lui. Je devrais aller me coucher et oublier cette déconvenue avec l'ascenseur, de toute façon, je n'étais pas en tort, c'est juste ce rustre qui ne connaît pas les règles de vie en société.

Le voisin d'à côté - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant