Chapitre dix-neuf − Andrev Krakowski

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CHAPITRE DIX-NEUF

Andrev.

Mardi 14 février.

16h51.

Rasé ou pas ?

Chemise ou t-shirt ?

Fleurs ou chocolats ?

Caban ou veste en cuir ?

Cheveux coiffés ou emmêlés ?

Cravate ou nœud de papillon ?

Jean ou pantalon de costume ?

Chaussures classes ou confortables ?

Haut blanc et bas noir ou haut noir et bas noir ?

Première Saint-Valentin.

La douche n'a pas suffi à me rafraîchir. Elle n'a pas aidé mes idées à se remettre en place. Elle n'a pas pu les parquer dans les cases habituelles, si bien que mon bordel est encore décuplé. Et puis, putain je n'ai pas l'habitude de faire dans la dentelle, je n'ai aucune idée du comportement à avoir pour un premier rendez-vous. Pour la Saint-Valentin de surcroît. Qui a inventé ce foutu concept ?

J'ai toujours fui les rendez-vous avec les femmes, elles attendent souvent beaucoup trop d'une soirée. Elles s'imaginent des tonnes de dénouements. Mais je ne veux pas de tout ça, je ne veux pas de cette vie déjà tracée par mon père. Je ne veux pas me poser avec quelqu'un dans l'attente d'un mariage et d'une ribambelle de gosses. Le nom Krakowski pourrait s'éteindre que je n'en aurais rien à foutre. Puis, Dimitri porte bien le nom de famille de Piotr – notre nom de famille – la relève est donc assurée. Et je ne vois pas en quoi me poser avec une femme pour satisfaire mon père serait une idée réjouissante. Même quand elle est aussi canon qu'Allison. Je ne suis pas fait pour cette vie. Ce n'est pas triste, mon existence est simplement faite ainsi.

Je lâche un soupir, teinté de tristesse. Je devrais pourtant le savoir, c'est ma mère mon soutien sans faille. Pas lui. Il n'a jamais cru que restaurateur était un métier viable. J'ai arrêté de vouloir lui prouver le contraire, je ne suis plus l'enfant en quête d'une quelconque reconnaissance paternelle. Je laisse tout ça à Piotr et Nikolai qui se battent sous ses yeux pour quelques miettes. Hors de question qu'il décide de ma vie sentimentale.

Chemise blanche. Celle dans mon casier au restaurant fera l'affaire, reste à espérer qu'elle n'ait pas de faux plis. Je prends l'un de mes sacs dans lequel je fourre un Jean et un nœud de papillon. Sobre. Classe. Épuré. Mon rasage est frais de ce matin et une main passée dans mes cheveux suffit à dompter le tout. Une fois décidé à partir, je glisse une clope entre mes lèvres gercées et descends les étages jusqu'au rez-de-chaussée. Sans plus de cérémonie, j'allume ma cigarette et me laisse transporter par le goût acre de la nicotine. Mes préoccupations s'envolent en même temps que la fumée qui disparaît dans les airs. Je marche d'un pas pressé, conscient d'être pourtant en avance sur les autres jours. Il faudra que j'achète des fleurs avant qu'elle n'arrive ce soir.

Ouais, parce que l'inviter dans mon restaurant, vidé de la brigade et des clients, est soi-disant plus romantique que les autres endroits où j'aurais pu l'emmener.

Au moins, je connais l'endroit parfaitement. Mais je sais qu'après, Allison m'associera au chef du restaurant et les choses seront différentes entre nous. Comme un nouveau départ, sans qu'il n'y en ait forcément eu précédemment. Je tire une nouvelle latte afin de me forcer à arrêter de penser à elle et au rendez-vous de ce soir. Je ne suis même pas sûr d'en avoir envie.

Devant le restaurant, j'écrase ma deuxième clope, l'esprit encore embué par toutes ces conneries. Étonnamment, Hauffman attend dans la cour, assis sur l'une des marches qui mènent à mon bureau. Et quand je le vois, un sourire étire spontanément mes lèvres. Plus d'Allison. Plus de Saint-Valentin. Plus de rendez-vous à la con. Il est encore emmitouflé dans son écharpe et son bonnet noir masque ses boucles. Il ne les a toujours pas coupées. Je les aime bien. Son sac-à-dos est posé à ses pieds et je le vois triturer son portable, les yeux perdus dans le vide. Je passe devant lui sans un mot et ouvre le restaurant avec une joie non dissimulée. Je suis ici chez moi, qu'importe ce que mon père peut en dire.

Du Bruit Dans La CuisineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant