Chapitre vingt-trois − Andrev Krakowski

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CHAPITRE VINGT-TROIS

Andrev.

Mercredi 22 février.

16h06.

Rage ? Rage sourde ? Rage à en contracter chacun des muscles de mon corps ? Rage assez dévorante pour la sentir couler dans mes veines ?

Colère ? Colère ultime ? Colère à en assassiner quelqu'un à mains nues ? Colère assez forte pour resserrer mes doigts gelés autour de son cou ?

Tristesse ? Tristesse puissante ? Tristesse terrassante à en finir prostré au sol ? Tristesse assez bouffante pour en chialer comme un gamin ?

Désarroi ? Désarroi carbonisant ? Désarroi à en brûler ce en quoi j'avais besoin de croire ? Désarroi assez bancal pour tout détruire ?

Déception ? Déception mordante ? Déception à en fermer les yeux sur la vie ? Déception assez violente pour sentir mes doigts en trembler ?

Il n'est que de dos, mais je sais d'ores-et-déjà que c'est lui. Il porte son bonnet noir fétiche qui enveloppe ses boucles ainsi que son manteau qui lui tient chaud. C'est un homme frileux. Je sais que c'est lui. Je le sens. Et je ne veux pas qu'il se retourne. Je ne veux pas reconnaître qu'il s'agit de lui. Je ne veux pas croire que c'est lui qui tient la main d'un autre homme.

D'ailleurs, c'est qui ?

Et là, c'est l'apothéose. Le bouquet final. L'explosion en l'air de tous ces sentiments. La jalousie.

Ah ouais. Elle fait mal. Elle est douloureuse. Elle frappe. Cogne. Pulse. Elle détruit.

Il est heureux. Il sourit. Il rit. Je l'entends d'ici.

Je palpe mes poches à la recherche de mes Lucky. Combien de temps vais-je rester à les observer ? Il ne veut pas le lâcher et potentiellement se rendre compte que j'existe. Je glisse un des tubes de nicotine entre mes lèvres et l'allume avec empressement. Mes doigts tremblent. Ma mâchoire est crispée. Mes biceps sont contractés. J'enrage. Je suis fou. Complètement aliéné. Je ne me comprends pas. Je ne me comprends plus. Qu'est-ce que je fous au juste ?

« Olivier, rebonjour.

Ouais. Je n'ai pas pu résister. Il a fallu que je me rapproche de lui. D'eux. Ma spontanéité me tuera un jour. Peut-être bien plus tôt que prévu.

Il pousse un glapissement. Pitoyable. A nouveau, je profite des quelques centimètres que j'ai par rapport à lui. Il lève ses yeux vers moi et la flamme qui y tangue me satisfait. Il a peur. Il fait bien, je pourrais le bouffer tout cru. Il emprisonne sa lèvre inférieure entre ses dents et la triture violemment. Je ne le quitte pas des yeux, pas un seul foutu instant. Nous sommes dans une bulle increvable, coupés du monde. La Terre pourrait s'effondrer que je ne le remarquerais pas. Le ciel pourrait chuter sur nos têtes que je n'en serais pas conscient.

Il est tout ce qui m'intéresse ici.

J'ai envie de ranger sa mèche de cheveux derrière son oreille gauche. Ses joues rosies par le froid mordant lui donnent un air enfantin. Je veux retirer son bonnet et apprécier la vue de ses boucles encadrant son visage. Je me suis perdu dans ses prunelles anthracites. Je me suis noyé dans ses abysses. J'ai savouré l'éclat qui y brillait. L'éclat d'une étoile filante. Bordel de merde.

Il a lâché la main de son ami... meilleur ami... copain ?

J'en aurais souri. J'aurais pu lui proposer la mienne en remplacement, en lui assurant que j'ai les mains plus douces. Et plus carrées. Ce qui veut dire que mes doigts pourraient envelopper les siens avec facilité. Les mains de son ami sont trop ridicules pour faire quoi que ce soit. J'aurais pu le faire, mais ça aurait beaucoup trop contrasté avec mon visage stoïque. Impassible. Énervé. Fou de rage. Putain !

Du Bruit Dans La CuisineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant