Chapitre vingt − Olivier Hauffman

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CHAPITRE VINGT

Olivier.

Lundi 20 février.

18h07.

Il y a des jours inexplicables. De ceux où tu ne sais clairement pas ce que tu fous dans ta vie. Il y a des journées pourries, comme il existe des journées de joie. Profonde et légitime. Des journées qui valent le coup d'être vécues. Il y a des jours où tu te lèves avec une boule au ventre, parce que tu sais que tu vas avoir mal. Tu vas souffrir. Tu vas perdre tes repères et tu vas acquiescer. Tu vas te soumettre à ton boss irascible et tyrannique. Tu vas t'enflammer chaque fois que ton nom de famille épousera ses lèvres. Il y a des jours où l'on préfèrerait rester couché, coupé du monde. Dans une bulle profonde et increvable. Toi face au monde. Bah ouais, putain. Mais il y a des journées incroyables alors que rien ne l'aurait présagé. Et parfois, seul un rayon de soleil vient percer les nuages et ta journée se retrouve éclaircie. Il suffit d'une annonce pour être heureux, une personne pour te soutenir et un sourire pour retrouver tes repères. Il y a des journées dont tu ignores tout, mais n'oublie jamais que le hasard est un salaud à double-tranchant. Il existe des jours qui illuminent ta vie, des jours où tes lèvres sont toujours retroussées en un franc sourire. Ouais, exactement celui que tu arbores. Et puis il y a des jours où sourire est ta seule option, tu camoufles tes larmes dessous. Tu les enterres. Les écrase. Les piétine. Et les fait jaillir en un sanglot étouffé. Ces journées sont les pires. Alors tu craches ta valda. Et puis, un jour tout bascule. Rien n'a été calculé, rien n'a été prévu. Un jour ton boss irascible et tyrannique devient un homme énigmatique qui sent le mâle et le musc. Un homme quasi attachant. Alors, tu te demandes quand les choses ont commencé à changer, tu ne le sais pas. Tu ne t'en souviens pas. Peut-être que lui le sait.

Alors, aujourd'hui, je sais que c'est une bonne journée. Déjà, parce que, malgré les protestations de Linus, j'ai été invité à la sortie de la brigade ce soir. Et ensuite parce qu'Erwann m'a dit qu'il passerait bientôt à Paris. Il m'a manqué. Puis, à chaque fois que je le vois, c'est comme si une partie de la Bretagne était avec lui et ça me rends heureux. Parfois, ma famille me manque – deux mois sans les voir, c'est relativement long – mais au moins, ici, je n'ai pas à mentir. A personne. Je n'ai pas à prétendre être quelqu'un que je ne suis pas. Je peux sortir avec tous les hommes que je veux sans prendre le risque de croiser mes parents, ou ma sœur, à chaque coin de rue. C'était le cas à Quimperlé.

« Et pourquoi on sort spécifiquement ce soir ? demandé-je finalement à Maryse.

J'ai appris que le chef Krakowski ne m'a pas renvoyé avec elle parce que j'étais nul, un bon à rien incapable de faire un carpaccio de canard ou parce que Caroline serait passée par-là pour se plaindre de moi. Il l'a fait parce que Maryse le lui a réclamé. Et tant mieux, parce que travailler avec elle est un plaisir. Aussi, parce qu'avec Pierre, c'est la seule à savoir pour moi. Quand je vois ce connard de Linus, je me dis que ce n'est pas plus mal.

− C'est l'anniversaire de Laurent, le poissonnier. Un mec super.

Pierre m'a dit de venir avec lui à la fin du service. Il a proposé de me filer une de ses chemises, histoire d'être plus présentables pour la soirée qui nous attend. Le chef nous a annoncé que le service de demain midi était annulé afin que l'on profite au maximum. En plus, il ne sera pas là. Et, ça, c'est une excellente nouvelle. Il n'empêche qu'un truc me chiffonne. Je n'arrive pas à mettre le doigt dessus, mais j'ai la sensation inexplicable que quelque chose me déplaît. Déjà, l'attitude du chef. Il ne me regarde plus lors de ses explications. Ses yeux ne m'enveloppent plus de leur manteau noir. Il m'ignore. M'évite. Me fuit. Et c'est plus dur à supporter que ce que je croyais. Je pensais que c'était pour le mieux, que ce serait bien plus simple pour lui et pour moi, qu'on s'en sortirait mieux en agissant ainsi. Que dalle. Je ressemble à une coquille vide. Il n'est plus là pour me reprendre sur mes bêtises. Il s'en fout. C'est à peine si j'ai le droit à un hochement de tête le matin.

Du Bruit Dans La CuisineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant