Chapitre vingt-sept − Andrev Krakowski

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CHAPITRE VINGT-SEPT

Andrev.

Vendredi 10 mars.

20h48.

S'il y a bien quelque chose que j'ai compris lorsque j'étais encore un gosse, c'est que nous sommes seuls. Nous sommes toujours seuls. C'est triste mais c'est la vie. Après tout, même si je le voulais, je ne pourrais pas m'abandonner. Alors, depuis que je suis en âge de le faire, je m'autocongratule. Je suis fier de moi à chaque jour qui passe.

Je me suis fait tout seul. Sans l'aide de mes frères. Sans l'aide de mon père.

Aujourd'hui ne coupe à la règle. Je suis ravi de voir que mon petit manège fonctionne à merveille. L'observer être effrayé par un simple film est l'un des spectacles les plus divertissants que j'ai vus dans ma vie. Ses ongles sont plantés dans les accoudoirs de son siège, son regard est vissé sur l'écran. D'ici, j'entends son cœur palpiter à une allure folle et ce seul spectacle suffit à me faire sourire.

« Bouh ! murmuré-je près de son oreille.

Il lâche un cri strident et plusieurs personnes se retournent vers nous. Il me lance un regard assassin. J'ai envie de rire.

− Mais t'es con ! »

Il m'a tutoyé. Comme deux bons amis pourraient le faire. Je lui jette un regard satisfait, heureux qu'il se soit risqué à le tenter. Lui qui ne voulait pas de mon amitié, il se retrouve à faire les premiers pas. Enfin, excepté le fait que je suis à l'initiative de cette invitation au cinéma.

Mais, je ne sais pas. Quelque chose me plaît dans sa présence. J'aime qu'il soit là. Je suis heureux lorsque je l'aperçois. Il a un truc, je n'ai pas encore déterminé ce que c'était, mais j'aime ce truc.

Je le vois déglutir rapidement, refaisant encore une fois le geste avec sa putain de pomme d'Adam ! Il m'énerve. Il ne se rend pas compte de la folie qui me prend lorsqu'il effectue ce geste, avec une lenteur indescriptible. Évidemment que non, il ne s'en rend pas compte.

Alors, pour éviter de m'infliger ce supplice, je détourne les yeux. Passablement troublé par cette soirée, je tente de me concentrer dans le film, la mâchoire contractée à son maximum. Les images se succèdent sans pouvoir s'imprimer dans mon esprit. Les sons se superposent sans pour autant accéder à mes tympans.

Il n'y a que lui et moi dans cette salle.

C'est d'ailleurs bien ça, le problème.

Je sens son regard clair braqué sur moi et tous les efforts du monde sont nécessaires pour que je ne me tourne pas vers lui. Même une demi-seconde serait celle de trop. Imperceptiblement, je lâche un soupir, l'air manquant dans ma poitrine. Du coin de l'œil, je l'observe trépigner sur son siège, mal-à-l'aise.

Je pourrais lui prendre la main, l'enfermant près de moi, l'empêchant de faire tout mouvement. Je pourrais. Mais je ne le fais. Parce que je me suis cantonné au rôle d'ami et je me dois de m'y tenir. Qu'importe si ce n'est pas ce que je veux. Il est temps de me convaincre que c'est pour le mieux.

Au bout de quelques minutes, je sens mon commis se calmer sur son siège. Délicatement, il se déplace sur sa gauche, vers moi. Et lorsque son épaule rencontre la mienne, je me crispe. Je ne sais pas ce que je suis supposé faire. Peut-être que son geste n'était pas volontaire. Plusieurs barrières de vêtements se tiennent entre nous, pourtant j'ai l'impression de sentir sa peau brûlante contre moi. A moins que ce ne soit la mienne qui soit si chaude.

C'en est douloureux.

Lorsqu'il se colle un peu plus contre moi, je sais qu'il l'a voulu. Autant que moi. Alors, imperceptiblement, je m'autorise un léger sourire. Je m'autorise à profiter de l'instant. Parce que je sais qu'il va disparaître.

Du Bruit Dans La CuisineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant