CHAPITRE QUARANTE-DEUX
Olivier.
Vendredi 15 mars.
21h53.
Il y a un goût acre dans ma bouche. Un goût désagréable. Comme la fois où je me suis pris un coup de poing dans la mâchoire et que je sentais le goût métallique du sang. Ben là c'est pareil. Je n'arrive pas à m'en débarrasser.
C'est comme s'il s'accrochait à ma peau. Une espèce de sangsue.
C'est le goût de la culpabilité, crétin !
Et puis, évidemment, ça prend sens dans mon cerveau trop étriqué. Ouais. Je culpabilise. Je me suis bouffé tous les ongles cette nuit. Enfin, après être rentré à moitié torché de ma soirée.
Depuis hier soir, j'essaie de me dire que ce n'est pas si grave. Après tout, j'aurais pu coucher avec lui et me réveiller à ses côtés, ce matin. Ce n'était qu'un baiser, certes quelque peu enflammé, mais pas besoin d'en faire une montagne.
Alors, pourquoi à chaque fois que je le vois, j'ai l'impression que l'Everest s'est dressé entre lui et moi ?
Ses traits sont durs. Son visage est fermé. Et moi ? Moi, j'ai l'air d'un con qui attend de se faire botter le cul.
Je n'arrête pas de me répéter qu'il ne sait pas ce qui s'est passé. Mais je suis pratiquement sûr que c'est peint sur mon visage. C'est limite s'il n'y a pas des flèches de toutes les couleurs qui pointent mes joues rouges.
Peut-être même que s'il m'embrassait, il sentirait le même goût acre dans ma bouche.
Il ne peut pas savoir. C'est impossible. Alors, bordel, pourquoi je ne peux pas me défaire de cette impression ?
Après un énième soupir, je pose mon couteau sur le plan de travail. J'aimerais effacer cette soirée. Toute entière. Et la recommencer du début. Cette fois, je m'empêcherais de m'énerver. Ou alors, je résisterais aux charmes de mon barman.
Je ne sais pas. Mais je règlerais le problème. Je n'ai pas vraiment le choix.
Lorsque je croise son regard aussi noir que de la suie, encadré par ses traits durcis par la colère, un long frisson remonte le long de mon échine. Je veux m'enterrer six pieds sous terre. Je veux disparaître. Juste le temps qu'il se calme.
Ce qui est ironique avec lui, c'est qu'il n'y a jamais de calme avant la tempête. Il est plutôt adepte de la tempête avant le tsunami qui détruit absolument tout sur son passage.
Rassurant.
Alors que la brigade travaille dans le silence – ce que je pensais impossible jusqu'à aujourd'hui – je fais chuter un plat qui s'éclate au sol dans un grand fracas. C'est où qu'on signe pour son arrêt de mort ?
Je n'ai jamais eu spécialement peur pour ma vie. Je veux dire, il y a quelquefois où j'ai joué avec le Diable, à faire toutes sortes de conneries, mais je ne suis jamais senti en danger de mort. Même pas les fois où j'ai avoué que j'étais homo à des connards qui ont rêvé de me briser les genoux.
Je crois qu'on peut dire que je suis quelqu'un de chanceux. Ma bonne étoile a toujours veillé sur moi. Le seul problème, c'est qu'un jour les étoiles, elles meurent. Et là, je me retrouverai bien con.
Pourtant, en cet instant, j'ai l'impression que je vais décéder. Il y a des signes qui ne trompent pas. Et je ne parle pas du silence de mort qui plane dans la cuisine. J'espère que mes parents m'enterreront avec les bouquins du chef. Histoire qu'on soit réunis dans l'au-delà.
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Du Bruit Dans La Cuisine
RomanceParis, septième arrondissement, où la richesse, la luxure et l'envie trônent en maître. Entrez et poussez les portes de l'un des restaurants les plus huppés de la capitale. Paris, ville des amoureux. Où il suffit de deux prunelles anthracite pour...