Je cours.
Les arbres sombres et silencieux me regardent passer, impassibles, tandis que je louvoie à toute allure entre leurs troncs. Mes pieds frappent le sol en cadence, leur bruit étouffé par les aiguilles de pin qui le recouvrent. Mon souffle régulier gonfle ma poitrine des odeurs familières de la forêt. Ma bouche laisse échapper des panaches de vapeur blanche.
Je cours, tout simplement, comme tous les jours.
Courir est ma façon de me calmer, de me détendre et de m'amuser. La rage qui m'envahit pendant la journée se dissipe, la tension de mes muscles disparaît, tout comme les piques blessantes et les sermons sans fin disparaissent de ma mémoire.
Chaque soir, après l'école, je sors de la maison. La fenêtre, qu'elle soit fermée à clé ou condamnée par des planches, ne m'a jamais arrêtée. Personne n'à pu me retenir. Ils ont renoncé. J'ai ce besoin instinctif et viscéral de courir dans la forêt.
Lorsque mes muscles commencent à brûler, que mon souffle se fait plus irrégulier et que le froid pénètre sous ma veste de cuir, je décide à regret de rentrer. Je ne veux pas risquer une pneumonie ou une grippe.
La forêt me paraît plus sombre lorsque je la quitte. Le soleil s'est presque couché, et les arbres, mes alliés et seuls témoins de ma vraie nature, allongent leurs ombres sur le sol couvert de feuilles.
J'émerge du couvert des feuilles et m'avance sur la route à pied. Le béton me fait mal aux pieds après la douceur du sol forestier. Sa dureté est la surface que je déteste le plus fouler. Les aiguilles de pin sont tellement plus agréables. Je ne suis pas pieds nus, mais j'ai une conscience accrue des sensations à travers ma semelle.
Après quelques carrefours et tournants, je me trouve dans la rue où je loge. Je ne dis jamais que j'y habite, car pour moi ce n'est pas ma maison. Ce ne sera jamais ma maison. Une maison est un endroit où l'on se sent bien, en sécurité et où on a envie de rester. Aucune de ces impressions ne me traverse lorsque je pense à cet endroit. La façade blanche paraît orange sous le crépuscule, et on voit les rideaux tirés aux fenêtres. Ils sont rentrés, et se préparent à dormir.
Lorsque je contourne la maison pour entrer dans le jardin, une tête blonde écarte un rideau. Derrière la vitre, je peux voir le petit visage enfantin esquisser un sourire sinistre avant de refermer la tenture avec force et impatience.
Ma discrétion est désormais inutile. Elle m'a vue, et la connaissant ses parents seront au courant dans quelques minutes...
Je soupire, lasse, et me mets à zigzaguer entre les rosiers taillés et les bouquets de lavandes dont l'odeur, bien que discrète pour la plupart des gens, agresse sauvagement mes narines sensibles.
C'est le nez froncé que je grimpe dans l'unique arbre du jardin avec aisance, et me stabilise sur une branche large à plusieurs mètres de hauteur. Le vieux chêne me permet d'atteindre ma chambre par la fenêtre sans escalader la façade ni frapper à la porte d'entrée.
Une fois stable, debout sur la branche et dos appuyé au tronc, je pose mes mains sur ce dernier et inspire un grand coup. Je fixe mon regard à la fenêtre, qui fait à peine un mètre de haut sur quatre-vingts centimètres de large. J'expire, puis me mets à courir. Arrivée au bout de la branche, qui ploie légèrement sous mon poids, je saute et tends les mains en avant.
Ce moment où j'ai l'impression de voler, suspendue dans l'air, accélère mon souffle et mes pupilles se dilatent. Mon cœur bat plus fort, comme si le fait de sauter dans le vide plaît à une part de mon être. Il est vrai que la poussée soudaine d'adrénaline, qui n'a pas disparue avec la répétition, me plaît plus que je n'ose me l'avouer. J'aime le risque. Je peux tomber à chaque saut, rater la fenêtre ou glisser de l'arbre. Mais je ne peux m'empêcher de recommencer la fois suivante, avec la possibilité de me faire mal ou même de mourir. Je suis accro au risque.
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Prédation, L.1 : La dernière Louve Supérieure [FINIE]
LobisomemOrpheline et violente, Lyka est une fille sombre, de celles qu'on n'approche pas et qui mettent au tapis ceux qui tentent de le faire avec de mauvaises intentions. Mais malgré cette apparente banalité, la jeune fille sent que quelque chose est diffé...