- Chapitre Onze -

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« Putain ! » jura Even en se claquant la tête contre son bureau de bois, acte qu'il regretta bien vite.

Le problème auquel il faisait face n'avait rien à voir avec sa leçon d'économie. Il aurait préféré que ce fût le cas, ça aurait plus simple pour lui de s'en occuper. Au moins, une fois l'examen passé, on n'en aurait plus parler et son esprit aurait enfin pu se reposer. Mais, là, il ne pouvait pas laisser son esprit se reposer. Il n'y arrivait pas. Il ne pouvait pas se débarrasser d'Isak comme d'un fichu examen. Et il avait bien peur qu'il ne le laisserait pas tranquille de sitôt, même s'il lui avait clairement dit qu'il ne voulait pas de son amitié. Pourquoi lui ? Pourquoi l'avoir choisi lui comme cible alors qu'il y avait sept milliards de vies en ce monde ? Et pourquoi l'attirer pour le repousser ensuite ? Even le détestait. Il le détestait pour le faire l'apprécier autant. Il le détestait pour l'empêcher de vivre sa vie. Il le détestait tellement, il essayait de s'en convaincre.

Even repensa à son rêve, et il eut une idée. Et s'il lui écrivait une lettre pour lui dire à quel point tout ça le brisait ? à quel point il le brisait ?

Sa main droite arracha à l'imprimante une feuille vierge ou deux et sa main gauche palpa sa trousse pour y trouver un stylo. À peine deux battements de cœurs plus tard que l'encre s'installait déjà sur le papier. Comme dans son mirage, il n'avait pas vraiment conscience des courbes qu'il traçait, il ne faisait que suivre son instinct.

Quand il releva son poignet, la feuille auparavant blanche et vierge de tout gribouillage était dorénavant noircie à cause de toute l'encre qui y était étalée. Even hésitait à se relire. Il avait peur de changer d'avis et de ne plus l'amener à Isak. Il ne savait déjà pas s'il allait lui donner cette lettre en mains propres ou en la laissant quelque part... Il regarda l'heure : dix-sept heures seize. Bon. Allez. Il se leva, enfila son manteau, attrapa ses clés et sortit de chez lui. Ce ne fut qu'après avoir descendu deux étages sur les quatre qu'il se rendît compte qu'il avait oublié la lettre qu'il avait écrite pour Isak. S'était-il vraiment encouragé intérieurement à l'instant, se disant qu'il la lui remettrait et que tout irait bien, pour l'oublier ensuite ? Il soupira avant de remonter au pas de course et de redescendre aussi vite une fois qu'il eût finalement la lettre.

Even mit une bonne demi-heure avant d'atteindre le parc. Isak n'y était pas. Tant mieux. Ainsi, aucun moyen pour lui de l'ignorer. Même s'il pourrait tout aussi bien laisser son bout de papier où il l'aurait trouvé, fallait-il déjà qu'il le remarquât. Il secoua la tête. Non. Il allait lire cette fichue lettre. Il le devait. Il déposa donc la feuille sur le banc, sur son banc, et la glissa dans un coin afin qu'elle ne s'envolât pas. Puis il partit. Ça n'allait pas déranger son patron s'il arrivait au café un peu plus tôt que prévu...

Isak arriva au parc une dizaine de minutes après qu'Even en fût parti. La première chose qu'il remarqua fut ce blanc qui contrastait avec le brun du banc et le vert de la mousse. La curiosité le prit : il prit cette feuille qu'il déplia.

« Cher Isak,

Je sais que tu ne t'attendais pas à trouver ce papier. Oh, au passage, c'est moi, Even. Je ne sais pas vraiment pourquoi je t'écris. Mais je devais te dire des choses. Mais, comme tu ne veux plus me voir, vu notre altercation de l'autre fois, je me disais que t'écrire serait plus... judicieux.

Je veux vraiment qu'on devienne bons amis, Isak. Peu importe si ça me fait du mal, je m'en fiche. Tu es quelqu'un d'extraordinaire, je le sais. Même si on ne se parle pas depuis fort longtemps, je le sais. Et je veux être ton ami. Ça sonne bizarre, faux, et j'en suis conscient, mais je suis sincère. Je ne sais pas à qui tu parlais au téléphone, je ne sais pas non plus ce que tu es en train de me cacher. Mais sache, Isak, que je suis là pour toi. Si tu veux en parler, je suis là. Si tu ne veux pas m'en parler, je suis quand même là. Je me fiche pas mal si tu me ''fais du mal'' à cause de ton secret, je veux juste qu'on soit amis. Tu penses qu'on peut faire ça, Isak ? Pour moi ? N'aie pas peur de me blesser, tu ne me blesseras pas. Je le sais.

Rejoins-moi demain, dix-huit heures, devant l'université Hartvig Nissens, si tu veux bien faire un effort avec moi.

Even. »

Isak avait les larmes aux yeux, sans trop savoir pourquoi. Le fait qu'Even tenait à lui lui faisait vraiment plaisir, peut-être un petit peu trop. Mais il avait peur de lui faire du mal, parce que ça finirait par arriver, un jour ou l'autre, et bien plus tôt qu'Even ne pourrait le penser.

Ce garçon allait rester dans ses pensées pendant un long moment, on dirait.

That Boy | EvakOù les histoires vivent. Découvrez maintenant