De ses doigts fins, Isak jouait avec l'anneau accroché à la clef. Ses yeux en suivait les mouvements avec attention. Il ne savait pas pendant combien de temps il était resté debout là, devant cette porte. Qu'attendait-il, au juste ? Six mois de plus ? Et quels six mois il venait de vivre...
Isak avait repris l'école. Chez lui. S'il était retourné dans un lycée public, jamais il n'aurait pu rattraper son retard ; alors il étudiait seul, dans sa chambre, avec son ordinateur et ses livres. Il avait toujours été du genre solitaire, de toute façon. Surtout depuis qu'il avait appris pour son cœur défectueux. Mais ça faisait six mois maintenant qu'il avait reçu la greffe, qu'il avait la garantie de vivre une bonne vingtaine d'année de plus, et pourtant... il n'arrivait pas. Il n'arrivait pas à vivre comme un garçon de dix-huit ans le devrait. Il n'y arrivait pas. Il n'y arrivait pas parce que celui qui avait redonné un sens à sa vie, celui qui lui avait donné l'envie et l'occasion de vivre n'était plus là. Even... Six mois déjà...
Et le voilà devant sa porte, le double de la clef en main. Sa mère avait accepté de payer le loyer, du moins le temps qu'il fît son deuil. Isak ne savait pas vraiment s'il l'avait fait. Il ne savait pas non plus s'il était prêt à ouvrir cette fichue porte. Mais, s'il ne le faisait pas aujourd'hui, quand aurait-il le courage de revenir ?
Sur cette pensée, Isak enfonça la clef dans la serrure et la tourna. Sa main tremblait, répercussions des sanglots qu'il tentait tant bien que mal de réprimer. D'un coup sec, il abaissa la poignée et entrouvrit la porte. Puis, du bout des doigts, il poussa le pan et laissa apparaitre devant lui l'endroit où son petit-ami vivait.
Avait vécu, se reprit-il. Avait vécu.
Ça lui faisait tellement mal.
En entrant doucement dans l'appartement, Isak ressentit une chair de poule couvrir ses bras. Il revoyait, là, devant lui, la dernière fois où il l'avait vu. Ses mots résonnaient encore dans son esprit. « Embrasse-moi, Isak. » Il donnerait tout pour l'embrasser encore au moins une fois. Juste une fois. Il revoyait son sourire, ce dernier sourire qu'il lui avait lancé avant de fermer la porte d'entrée, le quittant définitivement. À ce moment-là, jamais il n'aurait pensé que tout se terminerait aussi vite. Il leur restait tant de temps et si peu à la fois. Pourquoi l'avait-il quitté ? Pourquoi, Even ! Isak n'aurait jamais la réponse.
Isak se souvenait avoir posé cette question lors de son discours, aux funérailles. Funérailles... Rien que ce mot lui donnait envie de se rouler en boule dans un coin et de s'y laisser dépérir. Il ne voulait pas accepter que c'était vraiment terminé. Il ne pouvait pas l'accepter. Non ; il était censé leur rester du temps. Quelques mois au moins. Mais non, Even avait décidé de s'en aller.
Pourtant, il ne l'avait pas décidé. C'était un coup du sort, s'il n'était pas sorti vivant de son opération. Isak devait se le répéter chaque matin en se levant pour ne pas être pris d'une furieuse envie de le frapper. Il ne saurait dire si sa mort était une chance ou une malchance. Ça lui avait valu un nouveau cœur, une nouvelle vie, certes ; mais il ne pouvait empêcher ce vide qu'il ressentait dans sa cage thoracique. C'était le cœur d'Even qui battait en lui. Il était là. Pour toujours. C'était ce qu'il lui avait dit dans sa lettre. Isak le savait bien ; il la relisait chaque jour. Il ne saurait dire pourquoi il s'infligeait cette peine. C'était comme s'il ne voulait pas oublier. C'était sûrement ça, en vérité ; l'oubli. Il ne voulait pas oublier. Il ne pouvait pas l'oublier. Ni Even, ni sa mort, ni son sacrifice. Il voulait se souvenir de tout, dans les moindres détails, et il voulait continuer de ressentir ce vide en lui. Si un jour il venait à ne plus avoir mal en se remémorant... Isak ne préférait pas y penser. Ce serait tellement horrible. Ça ne pouvait pas arriver. Il ne pouvait pas laisser ça arriver.
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That Boy | Evak
Fiksi PenggemarEven Bech Næsheim était un jeune homme des plus banals : il avait des amis avec qui il aimait traîner, un petit boulot qui lui permettait de payer son loyer et ses études, une ex-petite-amie... Tout allait plus ou moins bien dans sa vie. Enfin, c'ét...