1 • Troisième âge

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Alex

J'avais supplié ma mère jusqu'à la dernière minute, jusqu'à la dernière seconde. Mais rien à faire. D'après elle, hors de question de me faire plaisir en m'offrant un stage d'art plastique, après ce que j'avais fait.

Ce que j'avais fait, c'était organiser une bataille de craie lors de l'heure d'étude. Le principal n'a pas eu l'air d'apprécier la nouvelle décoration de la salle. Pourtant, tous ces éclats de poussières multicolores, ça rendait quelque chose de moins... monotone, disons. Mais on ne devait pas avoir les mêmes goûts niveau décoration intérieure, car il a aussitôt appelé ma mère.

Comme sanction, j'eus droit à d'innombrables corvées ménagères, et ce stage dont je rêvais depuis des mois, je le vis passer sous mon nez.

Ma mère m'a acheté un billet de train en destination d'un trou paumé chez ma grand-mère, et pour être très honnête, tout ça ne m'enchantait pas du tout. Pas que je n'aimais pas ma grand-mère, mais j'allais probablement avoir des conversations barbantes et un quotidien tournant autour de parties de cartes, de feuilletons aux scénarios bancals, et de bouillies de légumes, histoire de ne pas abîmer son dentier.

J'avais cherché ma place des yeux et m'étais assise nonchalamment sur le siège inconfortable. Le trajet n'était pas bien long, j'avais à peine le temps de commencer un livre que j'étais déjà arrivée à Chicago, la grande ville la plus proche du village de ma grand-mère.

Cette dernière m'attendait sur le quai avec son éternel sourire de grand-mère, toujours bien couverte. On était en mai, mais les vieux doivent avoir froid tout le temps, à mon avis...

– Ton voyage s'est bien passé ? m'interrogea-t-elle après m'avoir embrassé.

– Oui mamie...

S'en suivie une tonne d'autres questions classiques dont je me serais bien passée. Oui, mes parents allaient bien. Oui, mon année s'était bien passée (je ne lui avais évidemment pas parlé de mon expérience de bataille de craie). Non, je n'avais pas faim. Non, ça ne m'ennuyait pas d'attendre un taxi.

En fait, si. Les taxis, c'était toujours insupportable. Déjà parce que les chauffeurs essayent tout le temps d'engager une conversation, mais aussi parce que les grands-parents sont réputés pour aimer qu'on s'intéresse à eux et qu'on leur pose des questions sur leur vie.

Il fallut déjà trouver un taxi qui acceptait de quitter l'État de l'Illinois pour aller dans l'Indiana. Ensuite, comme prévu, ma grand-mère se lia d'amitié temporaire (le temps du trajet) avec le chauffeur, un quarantenaire barbu, dans une discussion qui allait d'exéma (berk) à vieux soaps.

– Je te laisse t'installer dans la chambre d'amis, Alex, m'informa ma mamie lorsque nous arrivâmes.

Je fis rouler ma valise jusqu'à la chambre qui puait le renfermé. Je voulu ranger mes habits dans un tiroir de la commode, mais celui-ci ne s'ouvrait pas.

– Le bois est un peu gonflé, à cause de l'humidité. Force un peu, me conseilla ma mamie.

Après m'être installée, je me laissai tomber sur le lit.

Deux semaines. Seulement deux semaines à tenir.

SummerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant