11 • Désillusion

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Alex

– Et sinon pour ton défi ?

– J'vais être franc avec toi, mais j'ai pas encore trouvé...

– Une fois qu'on aura posé les courses chez ma grand-mère, on ira chercher, si tu veux.

Je baissai à nouveau les yeux sur le carnet. Le papier n'était pas parfait, mais pour ce prix, c'était le meilleur. Il n'était pas trop épais, ce qui m'arrangeait car j'allais pouvoir poser ma main sans être dérangée par la différence entre la table et le papier. Bref, il était génial. Et Michael n'avait même pas hésité à me l'offrir.

Je. Le. Déteste.

Ma grand-mère dormait encore lorsqu'on arriva. On posa les courses rapidement sur la table de la cuisine sous ses ronflements digne d'un mix entre un cochon et un moteur d'avion, j'écris un mot pour lui dire de ne pas s'inquiéter si je rentrai tard (l'inquiéter, je m'en fichais, mais si elle appelait ma mère, j'allais goûter à la chaise électrique), puis on s'éclipsa aussitôt.

– Pitié, dis-moi que c'est pas héréditaire et que tu ronfles pas comme ça, toi aussi ! s'esclaffa Michael.

– Non, j'ronfle pas. Puis de toute manière qu'est-ce que t'en as à foutre ? C'est pas comme si on avait à dormir ensemble ! me vexai-je un peu.

Ça le calma aussitôt, bien qu'il gardait son sourire. Cependant, ses pommettes avaient violemment rougi à ma dernière phrase. Il est mal à l'aise pour rien, ce type...

– Bon, suis-moi, j'ai eu une idée, se reprit-il.

Vous vous souvenez de cette image parfaite, du garçon sage qui obéit à ses parents sans rien répondre, que je m'étais faite, tout comme vous ? Bah oubliez-là. Quand Michael le voulait, enfreindre les règles étaient pour lui un jeu d'enfants.

– Sérieusement ?!

– Oh, me dis pas que ça te fait peur !

– Bien sûr que non ! C'est juste que je ne m'attendais pas à ça venant de toi !

Il venait juste de m'exposer son idée, et je dois dire qu'elle était parfaite, mélangeant tout ce que j'aimais : s'amuser en rajoutant une pointe de risque.

– Bon, on entre rapidement à trois. Un... Deux...

À trois, il poussa la porte de la salle des fêtes, et le fond de musique d'ambiance qu'on entendait plus tôt se fit plus fort, jusqu'à faire vibrer mes tympans ainsi que tous mes membres. Michael me tira avec lui à l'intérieur et referma la porte vite fait bien fait.

– Maintenant il s'agit de pas nous faire remarquer. On va trouver un coin où y'a personne, pour pas attirer l'attention sur nos habits beaucoup moins présentables que ceux des invités, et on va rester loin des mariés, parce que s'ils se rendent compte qu'ils ne nous connaissent pas, on est dans la merde jusqu'au front. Capito ?

– Capito, souris-je malicieusement.

Je surpris sa main dans la mienne tandis qu'il longeait les murs pour éviter d'attiser les regards. Je crois que j'ai jamais eu autant de chance dans ma vie. À peine avions nous trouvé un endroit qui nous permettait de profiter des lumières et de la musique sans se faire chopper, ils activèrent une sorte de fumée (nauséabonde) qui nous permit d'être d'autant plus camouflés.

La fête pouvait commencer.

Je pars généralement du principe qu'on a tous un talent dans un art ou plusieurs. Qu'il soit caché ou évident, on en a tous un, au moins. Ce soir-là, je découvris un de ceux de Michael. Il était si bon danseur que j'avais peur que les invités s'arrêtent pour l'admirer, et remarquent donc que nous étions des clandestins à la fête.

Une fête n'est pas une fête sans slow. Et honnêtement, j'espérais m'en tirer. Mais au fond je savais que c'était impossible, et je priais pour ne pas avoir à faire du collé-serré avec Jackson. Mes espoirs s'envolèrent en même temps que les premières notes d'un bon blues bien pourri.

– Hum... J-j'me sens un peu fatiguée... Euh... On devrait y... !

Il ricana et me coupa la parole en me tirant vers lui. Oh non, oh non, oh non, oh non. Oh non.

– Hm... Non. C'est le meilleur moyen de se faire repérer. Parce que les gens comme toi, qui évitent les slows, ils vont aller en masse discuter ailleurs donc voir tout ceux qui sont comme eux. Et s'ils regardent les danseurs, ça sera que les mariés.

Un bras autour de mon dos, et sa main liée à la mienne, il nous faisait danser lentement au rythme de la mélodie, un rictus rieur aux bords des lèvres. Je devais avoir l'air perdu, en même temps, avec mes yeux qui n'osaient plus se détacher des siens et mes bras qui avaient timidement tenté de l'imiter en se posant sur son épaule et en faisant l'effort de serrer ma main autour de la sienne.

– En plus, ça ne te dérange pas vraiment, ajouta-t-il.

– Qu'est-ce que t'en sais ?

– Je commence à bien te connaître, Alex. Et je sais que tu m'aurais repoussé sans aucun remords, si ça t'avais déplu. J'me trompe ?

J'écarquillai faiblement les yeux, et rougis inévitablement avant de détourner le regard. Michael ricana de plus belle en obtenant la confirmation de ses dires.

– C'est un honneur !

– Ta gueule, crachai-je en le coupant presque.

Comme réponse, il pouffa et me rapprocha encore plus de lui, continuant la danse.

– À quoi tu joues ? m'étonnai-je.

– J'me fonds dans la masse. Regarde autour de toi.

Effectivement, les autres couples... Attends... J'ai vraiment dit « les autres couples » ? Okay, rectification, les couples autour de nous, dansaient tellement proches que ça ne m'étonnerait même pas que quelques femmes soient tombées enceintes après ça. Bon ok, j'y allais un peu fort là. Enfin, on s'en fout, ça change rien au fait que j'étais trop proche de Michael. Beaucoup trop proche. C'est la proximité qui m'effraie ou son odeur envoûtante qui fait battre mon cœur aussi vite ?

– Tout va bien, Alex ? s'inquiéta Michael.

Je frottais mes bras pour tenter de les réchauffer. C'est sûr qu'entre la température étouffante de la salle des fêtes et la brise de la nuit, il y avait un contraste saisissant. Je levai les yeux au ciel pour observer la lune lorsque je sentis un bras autour de mes épaules. Je tournai ma tête vers le crépu d'un regard interrogateur.

– Crois-moi, vaut mieux que tu te laisses faire. Déjà que de jour, Gary n'est pas une ville très sûre, de nuit, t'as un taux de chance énorme de perdre la vie. On va éviter de se faire tirer dessus, et tu vas me suivre sans broncher, okay ? Je t'ai emmené dans un quartier plus dangereux que ce que t'as déjà visité, aujourd'hui.

Ses paroles me firent froid dans le dos. Je commençais à regretter de l'avoir suivi, et il le remarqua bien vite.

Je le sentis poser ses lèvres sur ma tempe, se voulant rassurant.

– J'te jure que tu arriveras chez ta grand-mère saine et sauve, Alex.

Maintenant j'en étais sûre, c'est pas la peur qui fait battre mon cœur aussi vite.

Ses lèvres. C'est ses putain de lèvres.

SummerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant