28 • Gary, Indiana

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Michael

Je m'étais réveillé pile à l'heure. J'avais tout juste vingt minutes avant de partir pour la gare, si je ne voulais pas la rater. J'appréhendais tellement que ma main tremblait tandis que le dentifrice coulait sur ma brosse à dents. Trois minutes. J'avais trois minutes d'avance.

– Joe, je peux t'emprunter ta voiture ? demandai-je un peu hésitant.

– Pour quoi faire ? cracha mon père qui buvait son café.

Une excuse, vite. Je lançai un regard désespéré à ma mère qui se faisait du thé, debout derrière Joe.

– Me dis pas que tu vas voir Alex ? me devança ce dernier.

Mes poings se serrèrent. La panique s'empara de moi.

– Je veux juste aller lui dire au revoir, c'est tout. J...

– Il me semblait avoir été clair ! Tu ne vois plus cette fille ! me coupa-t-il,  enragé.

À l'extérieur, un taxi démarrait. Je jetai un coup d'œil à l'horloge de la cuisine : je devais partir maintenant, si je voulais arriver à l'heure.

– S'il te plaît, Joe. On en rediscute apr...

– Après quoi ?! Je ne te prêterai pas ma voiture, Michael ! Je t'ai déjà dit de ne plus la fréquenter !

Je savais que ce que j'avais dit était débile, mais la grande aiguille dépassait dangereusement la limite que je m'étais fixée, et j'avais de plus en plus peur de la rater.

– Joe, tu pourras me priver de tout ce que tu veux, me donner des tâches à faire pour toutes les vacances, me battre autant que ça te plaira, laisse-moi juste y aller ! désespérai-je.

– Ça ne marche pas comme ça, Michael !

Je n'avais déjà plus le temps de lui dire quoi que ce soit. Juste le temps de l'embrasser.

– Si tu insistes encore une fois, je peux t'assurer que je me chargerais de te la faire oublier, me menaça-t-il cette fois.

Je m'imaginais bien de quelle manière il s'y aurait pris. Je jetai un dernier coup d'œil à ma mère, comme ma dernière chance, mais elle me fit comprendre qu'elle était impuissante.

Je poussai un soupir de mécontentement et sortis de la cuisine en passant mes mains dans mes cheveux nerveusement. Si je la manquais, elle allait me détester. Je lui avais promis en étant sûr de moi, mais je n'avais pas réellement pensé à comment m'y prendre avec Joe...

– Tu reviens avant midi.

Je fis volte-face. Ma mère était sortie de la cuisine et, après avoir refermé la porte derrière elle, m'avait tendu les clés.

– Je vais mettre de la musique pour que ton père n'entende pas le moteur démarrer, continua-t-elle à voix basse.

J'étais immobile, surpris par son geste. Je la regardais avec des yeux brillants et surtout beaucoup d'admiration.

– Qu'est-ce que tu attends ? Tu vas la manquer ! Dépêche-toi ! me pressa-t-elle souriante.

– Merci, maman, chuchotai-je en lui embrassant la joue vivement.

Vous croyez au destin ? Moi, j'y croyais. Et je l'aimais bien. Il m'avait permis de rencontrer Alex, entre autres. Et puis ce jour-là, il s'est allié à Joe. Comme si lui aussi voulait me punir de désobéir à celui-ci.

Je priais pour que le train ait du retard. C'est étrange, non ? D'habitude on veut qu'il soit à l'heure...

On a l'air con, quand on court dans une gare. Surtout quand elle est pleine à craquer. Je m'en fichais. Je devais trouver son train.

– Je peux vous aider, monsieur ? m'interpella un employé.

– Le train... pour Bloomington... c'est quel quai ? demandai-je essoufflé.

– Voie B, mais il est censé partir...

Il vérifia sa montre et fit un drôle de tête que je traduis par « Michael, t'es dans le caca... »

– ... maintenant...

J'avais envie de lui foutre mon poing dans la gueule. Il n'y était pour rien, pourtant. Il ne savait pas que ma petite amie se trouvait précisément dans ce train et que je venais de l'Indiana spécialement pour lui dire au revoir. Mais à ce moment-là, ça m'aurait bien défoulé.

Je trouvai le bon quai assez rapidement. Merci, Destin, mais c'est trop tard, maintenant... Au moins cinq petites minutes plus tôt, ça aurait été parfait. Là, ça m'énervait juste encore plus.

J'enfouis mes mains dans mes poches. Le train s'en allait. Alex avec. Son joli visage, son caractère unique et mon cœur aussi. Elle devait me détester. J'étais seul sur le quai. Sans cœur. Sans amour. Un au revoir coincé dans la gorge et un baiser bloqué sur les lèvres. Et cette fois j'en étais sûr. Maintenant qu'elle était partie je réalisais. Je réalisais que j'étais à un baiser près de me dire « Tant pis, je pars avec toi. Fais-moi une place dans tes bagages, je prends un ticket à la dernière minute, ne pars pas sans moi » sans aucunes représailles. À un baiser près de devenir fou d'elle encore plus que j'en étais déjà accro. À un baiser près de courir après le train s'il le fallait. À un baiser près de ressentir en permanence le besoin de la toucher, de la tenir dans mes bras, de l'embrasser.

Elle repartait avec mon amour pour elle et un baiser qui m'aurait fait tomber amoureux.

FIN













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