3 • « Tu seras mignonne »

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Alex

On était finalement arrivés jusqu'à chez ma grand-mère. Pour une vieille qui peine à marcher, je trouvai que l'épicerie du coin était quand même bien loin.

– J'te rends tes courses, entama Michael Jackson.

Il les mit en équilibre sur mes autres provisions, et je le remerciai.

Il tourna le regard vers la maison d'à côté où un garçon un peu plus vieux le fixait en se marrant. Michael rougit et soupira en secouant la tête.

– Laisse, c'est mon frère... souffla-t-il.

– J'avais cru comprendre, ricanai-je. Bon, j'vais y'aller parce que ça pue déjà les choux dans la maison, ce qui veut dire qu'elle a fait à manger. J'imagine qu'on se dit à demain ?

– Euh... Ouais, à demain, acquiesça-t-il timidement, perturbé par son frère.

Je crois même pas qu'il ait remarqué tout de suite que j'étais rentrée chez moi. Enfin chez ma grand-mère. Enfin vous avez compris.

– Tu as bien dormi ?

C'était reparti...

– Oui, mamie...

Je ne traînai pas plus avec elle, répondant rapidement à ses questions stupides, et avalant aussi vite mes céréales. J'allais tellement vite qu'on aurait pu penser que j'allais rater mon train. D'ailleurs, si l'un d'eux voulait bien me ramener chez moi, je pouvais accélérer sans problème.

La vérité c'était que, ne sachant pas à quelle heure nous étions supposés nous revoir, je me pressais de me préparer pour être prête à la minute où il arriverait.

Je pris mon courage à deux mains pour m'enfermer dans la salle de bain, serviette sous le bras et habits sous l'autre. Je retirai le tabouret sur lequel ma grand-mère s'asseyait pour se doucher (une autre technique de vieux) en tentant de ne pas penser à ses fesses, puis entrai dans la petite douche.

Prenant le pommeau de douche immonde, je fis le plus vite possible pour me mouiller le corps, avant de me le frotter avec une savonnette (sérieusement ?). Sans plus attendre, je me rinçai, séchai, m'habillai, et m'écroulai sur le lit tout dur de ma chambre.

J'attrapai mon cahier et un stylo que j'avais pris soin d'amener (au cas où j'aie à faire des sudokus et/ou mots-croisés pour faire plaisir à ma grand-mère), puis l'ouvrit à la première page.

« Observations des habitudes et comportements des personnes de la catégorie du troisième âge, par Alex Dean ». C'est ce que j'avais noté en gros sur ce qui me servait maintenant de page de garde.

« Première observation : Il semblerait que les seniors, ayant traversé toutes les étapes de l'âge, se plaisent à poser des questions futiles, auxquelles les interrogés n'ont pas la moindre envie d'y répondre. Bien souvent, celles-ci concernent la manière dont se sentirait où s'est senti une personne, auquel cas cette dernière mentira toujours ou presque en affirmant que tout allait ou va bien. Elles peuvent aussi avoir un lien avec la vie privée de la personne à qui s'adresse la question, et sont donc parfois la cause d'un certain malaise chez cette personne qui n'a pas vraiment envie de se confier à quelqu'un qu'elle ne voit que rarement, bien que ce quelqu'un ait une mémoire d'une moyenne d'environ 2 minutes et 34 secondes. »

Ça me semblait déjà pas mal pour une première observation. En plus, je n'arrivais pas à me concentrer sur ce que j'écrivais, trop occupée à jeter de furtifs coups d'œil à travers la fenêtre pour voir si je pouvais apercevoir chez les voisins de ma grand-mère.

Bordel, mais qu'est-ce qu'il foutait ? Je commençais à croire qu'il m'avait oubliée... Calme-toi, Alex. Il est à peine onze heure.

– Alex ? Tu viens m'aider à préparer le repas ? m'appela la vieille.

« Parfois également, ces questions sont sous forme de propositions que la personne ne peut refuser, sous peine de passer pour malpolie, malgré l'envie manquante. »

Bon okay, il m'avait oubliée. Il était dix-sept heure et j'avais perdu tout espoir. Je regardais (enfin, j'étais forcée de regarder) un feuilleton débile, assise inconfortablement sur le fauteuil. Déjà que la forme de celui-ci n'était pas terrible (ni la couleur, d'ailleurs), il fallait en plus qu'elle ait pris tous les coussins pour, soi-disant, "ne pas avoir mal à son dos". Déjà on dit "avoir mal au dos", et ensuite cette excuse n'est absolument pas crédible. Si tu voulais pas avoir mal au dos, fallait acheter un meilleur canapé.

On sonna à la porte. Oh non, pitié. Tout mais pas quelqu'un qui vient taper la discute. J'vous en supplie, tout mais pas ça.

De toute façon, elle ne sembla pas réagir.

La sonnette retentit une seconde fois, et je regardais ma mamie avec de gros yeux.

– Tu vas pas ouvrir ?

– Hein ?

– Ça a sonné...

– Oh, j'avais pas entendu ! Tu veux pas y aller pour moi ? Tu seras mignonne.

J'avais déjà relevé deux autres observations en une seule réplique. La surdité, encore une fois, excuse de tout, et ce que j'appelais le compliment conditionnel. C'est-à-dire qu'on recevra ce compliment qu'à une condition. Et dans ce cas-là, c'était d'ouvrir la porte.

Bien que je n'en aie rien à faire d'être "mignonne", je m'étais levée en râlant discrètement (de toute façon elle n'entendrait pas) pour me traîner jusqu'à la porte.

– Ah bah tiens, c'est maintenant que tu viens, toi ? m'étonnai-je.

Michael était debout sur le palier, mains dans les poches.

– Qui est-ce ? cria faiblement ma grand-mère.

– Le voisin, répondis-je un peu plus fort. Bon, tu veux quoi du coup ?

– Bah je viens te chercher, rapport au défi... fronça-t-il les sourcils, confus.

Ah bah oui, suis-je bête.

– Mamie, je sors ! hurlai-je pour la prévenir.

Je n'attendis aucune réponse de sa part et attrapai ma veste pour claquer la porte et suivre le garçon.

– Bon, je me suis creusé la tête toute la journée, hier, pour réfléchir à ce qui pouvait être cool à faire. À vrai dire, la première chose de sympa dans le coin qui m'est venue en tête, c'est le mini-golf.

Ma conscience qui veillait sur moi à l'intérieur de mon crâne s'étouffa avec sa salive en entendant ça.

– Un mini-golf ?! Vraiment ?!

– Je sais ce que tu vas dire, mais je t'arrête tout de suite : le soir, y'a que des jeunes de notre âge, et l'ambiance est vraiment géniale, se justifia-t-il avec un sourire mal à l'aise.

– Prouve-le.

SummerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant