22/03/2133, 23h57

13 1 0
                                    

Il fallait que ça en vienne aux mains, que des représentants des deux camps se frappent. C'était évident. Ça s'est produit. Ce matin en province, dans une petite ville, don je ne me souviens plus du nom. Des faits simples, des conséquences graves. Un des deux hommes a commencé à hausser la voix. Dans un village où tout le monde se connaît, c'est comme les incendies, ça s'embrasse très vite. Un désaccord, un pro-Miraras et un anti, ça s'est terminé aux poings. Si cet accrochage n'avait pas été rapporté sur les réseaux, peut-être que rien n'aurait changé, que tout n'aurait pas évolué si dangereusement en si peu de temps. Mais le malheur, la malchance, ou je ne sais quoi d'autre en a décidé autrement. Il a suffi qu'il y ai cette personne qui filme et qui poste l'accrochage sur Internet. Le cameraman. Il y en a toujours un, dès qu'il y a une dispute. Et c'est souvent de sa faute quand les choses évoluent dans de mauvais termes.

C'est là que le feu local s'est transformé en incendie national. Aimer, commenter, partager, les trois mots primaires que tous les réseaux sociaux ont en commun, et ça, tout le monde les connaît, et sait s'en servir. De l'huile sur le feu, la propagation a mis moins d'une heure. À 10h, le pays entier était au courant, et la petite fêlure, le faussé minime, presque invisible encore hier, s'est élargi d'une manière si conséquente... Tous les français ont réagi, des émeutes violentes, des dizaines et des dizaines d'affrontements dans la rue, des milliers d'insultes diverses, des personnes interpellées puis mises en cellules. Un enfer, un cauchemar éveillé. Tout ce qui ne partait au départ que d'un soi-disant enlèvement de mineur était en train de séparer la population. La division d'un seul peuple. Deux groupes, un problème insoluble. J'ai regardé, ébahie ces enchaînements d'actes, le déroulement toute la matinée, derrière mon écran. Essayant de réaliser que ce qui ressemblait à un début de guerre civile était le résultat de différents rouages que j'avais été la première à déclencher. Sans volonté de nuire, bien au contraire, je voulais à la base, seulement aider. Aider une jeune fille qui n'avait plus de vie pour de sombres raisons.

Il m'a fallu plusieurs heures pour me décrocher de l'ordinateur et du journal, pour revenir dans cette cave que j'occupais depuis plusieurs jours. Vers midi, j'ai compris que j'étais seule à pouvoir faire quelque chose. À moi seule, je pouvais faire bouger les choses, stopper ces affrontements idiots entre des citoyens tous innocents. J'ai réagi, j'ai secoué les deux autres qui étaient à peu près dans le même état léthargique que moi, quelques instants plutôt.

- Rory, il faut qu'on trouve un moyen de comprendre ce qui est arrivé à cette femme, là... Luly, ai-je tonné. Il nous faut des infos. Et toi, Filia, tu devrais peut-être continuer à chercher un deuxième fichier comme celui sur le commerce interne du pays, ai-je proposé plus doucement.

Ils ont tout de suite compris qu'ils devaient agir. Après quelques secondes pour se décoller des informations qui tournaient en boucle depuis notre réveil et un instant d'égarement, Filia à filer sur un poste, se plongeant sans rechigner dans les dossiers du sous-gouverneur. Rory aussi, reprenant déjà les fichiers de la puce de Luly.

On y a passé longtemps encore. Des heures entières. J'étais motivée. Dès que je sentais que l'envie allait me passer, je jetais un discret coup d'œil aux infos qui tournaient toujours. Il ne m'en fallait pas plus pour retourner me plonger corps et âme dans la relecture avec Rory. Je repensais à ma sœur aussi. Elle méritait que je le fasse pour elle, comme elle se serait sans doute autant investie que moi, voir même plus. Finalement, après des longues heures, encore ponctuées par les balancements des aiguilles de l'horloge, c'est Rory qui a trouvé.

- Regarde ! s'est-il soudain exclamé en me pointant la fin des relevés d'activité. Si on se concentre bien, on peut constater que Luly a toujours le même emploi du temps. Le lundi, elle se lève part au travail et achète un sandwich au poulet, le mardi un au thon et le mercredi des insectes. Or, si on examine les données, on se rend compte que deux jours avant de partir, un mardi, elle a acheté des insectes et le lendemain un sandwich au thon. Tu comprends ce que ça veut dire.

Au plus près des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant