23/03/2133, 22h04

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La réalité m'a rattrapé. La nuit passée, les rêves envolés, la vérité reprend le dessus. Je me suis levée perdue, ne sachant plus quoi penser, dès le saut du lit. Lentement, j'ai tenté de me remettre en marche, de sortir du canapé, une chose pas si facile. Lourdement, je me suis assise, à la table de la cuisine, sans plus de mouvement. Rien, pendant un petit bout de temps, puis d'un coup, c'est venu comme il se met des fois à pleuvoir, brusquement. Le besoin de mettre du clair dans mon esprit, de l'écrire. J'ai pris une de tes pages que j'ai arrachée, mon stylo, et j'ai tracé un grand trait pour séparer ma page en deux. Ce que je sais, ce que j'ignore. Pour la première colonne se fut simple, il n'y avait pas grand-chose à placer. On ignorait tout.

- Le gouvernement mène des expériences.

- Des millions de personnes en sont mortes.

La deuxième liste, elle fut plus fournie.

- Qui est « le gouvernement », exactement ?

- Pourquoi font-ils des expériences ?

- Que font-ils comme expériences, et comment ?

- Comment font-ils pour faire passer autant de disparitions sans que personnes ne se soucis de rien ?

- Quel est le projet « GB » annoncé dans le préambule de la liste de noms ?

Des questions sans réponses, et pas franchement du genre de celles à qui on trouve des solutions au levé du lit,. En temps normal, j'aurais commencé ma journée avec un petit déjeuné, mais ce n'était pas vrai ce dont j'avais envie à cet instant-là. L'idée même d'une tasse de café me répugnait, cette histoire m'a retourné l'estomac. J'ai donc oublié le repas le plus important, admirant ma feuille, comme si elle pouvait me donner une réponse, une parmi toutes celles que j'avais inscrites. Évidemment, cela n'est pas arrivé. À la place, j'ai entendu des petits bruits. En lançant un œil vers la chambre, je me suis vite rendu compte qu'ils venaient de Filia. Elle devait sans doute faire la même nuit que moi, entre cauchemars et rêves sombres. Je l'ai donc réveillée, abrégeant ses souffrances dans son monde imaginaire.

Rory, lui aussi debout après le mauvais songe de Filia, n'était pas ce que l'on peut appeler couramment, « de bonne humeur ». N'ayant certainement pas pu fermer beaucoup plus l'œil que nous. Nous sommes tous restés là, les bras ballants, imaginant des scénarios et contemplant l'immensité du subterfuge. Des familles entières détruites par la perte d'un proche. Comment l'État camoufle-t-il tout ça ?

Des heures. C'est le temps qu'il m'a fallu pour que je comprenne, que je mette le doigt sur quelque chose. Une fois que mon cerveau a eu l'occasion de se reconnecter, j'ai enfin trouvé ! Du moins, j'ai émis une hypothèse. C'est en songeant à papa que j'ai eu le déclic. Je pensais à la fois où Mila s'était enfuit, deux jours seulement après l'annonce de la mort de notre père.

J'avais couru dans les bois, Mila n'était pas loin, je devais la retrouver, qui sait ce qu'elle aurait pu faire, là-bas, seule. Les arbres avaient défilé autour de moi, se ressemblant, tous alignés les uns aux autres, identiques, impossible de se repérer. J'avais fait une pause, à bout de souffle, désorientée. Mila était partie, je l'avais vu depuis ma fenêtre, longeant discrètement, la haie du jardin, et finir par sortir en courant. Sans réfléchir, je m'étais lancé à sa poursuite, elle était triste, effondrée, perdue dans son désespoir. Je la comprenais, même si je le montrais moins, la mort de papa m'affectait. Mais elle, elle était si jeune, si innocente, elle ne supportait pas. Mila pouvait faire une bêtise, je devais l'en empêcher.

Des bruits à gauche. Doucement, un pied après l'autre, je m'étais dirigée vers eux. Ils s'arrêtaient, je m'arrêtais, ils reprenaient, je repartais. C'est ainsi que je l'avais retrouvé, dans une clairière, sur un tronc. Elle ne pleurait pas, elle était juste perdue, la mine sombre. Je n'avais rien dit, ça ne servait à rien de parler, de l'incriminer, je comprenais, pas besoin de mots, de paroles inutiles. Un câlin suffisait, l'amour et la présence. Dans les dernières lumières du soleil berçant le ciel, ses peines avaient diminué.

Au plus près des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant