10/03/2133, 03h11

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Je viens tout juste de rentrer. J'ai tellement de choses à te raconter ! C'est incroyable, ça a été si étrange !

Après mon service, il me restait six heures à patienter. Grâce au travail, j'ai réussi à ne pas trépigner toute la journée, mais une fois débarrassée de mes corvées, mon unique envie était de courir jusqu'à cette jeune fille pour percer tous ses secrets. Lui demander qui elle était, son lien avec Mila, les raisons de sa présence et de toute cette sécurité qui l'isole. Toutes ces questions qui ont saturé mon esprit pendant des heures, si ce n'est des jours. Alors, j'ai décidé de me rendre en ville. Au milieu de toutes les lumières émanant des milliers de panneaux publicitaires de la ville plus vrais que nature et des enseignes holographiques, j'ai été frappée de remarquer l'âge de toutes les personnes près de moi. Il n'y avait quasiment aucune personne âgée et le peu qu'elles représentaient étaient dans de sale état. Les enfants et les adolescents, qui déambulaient eux aussi dans les rues, représentaient la majorité de flux présent dans les rues. Ce constat désolant montrait tout à fait la progression trop rapide d'Alzheimer qui décime de jour en jour des générations entières et de plus en plus vite. Si bien que les anciens commencent à manquer dans la vie active. J'ai bien peur que rien ne puisse être fait et que le résultat soit désastreux.

Après cette triste escapade dans les rues, j'ai décidé d'aller au cimetière, je ne me sentais pas à l'aise dans la ville. L'évidence m'a frappée et je ne l'ai pas supporté. J'ai préféré la tombe de Mila. Elle me manque tant, j'aurais donné ma vie pour la sienne. Pour ne pas à avoir à porter tous ces regrets. Elle, elle était aimée, tout le monde la connaissait. Moi je n'étais que sa sœur, dans l'ombre. Elle, elle était magnifique, sublime. Moi, j'étais banale, sans plus. Elle, elle était pétillante, toujours joyeuse malgré sa dure vie. Moi, j'étais morose. Et maintenant, elle, elle est morte. Moi, je suis vivante. La vie est rarement juste, elle prend toujours les meilleures personnes et elle n'explique jamais pourquoi. Mais on ne peut pas lui en vouloir. S'il n'y avait pas de mort, la vie serait infinie. Elle deviendrait lassante et répétitive ; c'est grâce à elle que nous pouvons savourer chacun des instants de la vie et ça, Mila l'avait bien compris. La vie est courte, c'est ce qui nous pousse à nous lever chaque matin pour réaliser nos rêves les plus fous que nous ne pourrons peut-être pas faire demain. Profiter de la joie du présent parce qu'on ne peut pas garantir l'avenir. C'est pour ça que j'aimerais être Mila, pour pouvoir réussir à vivre sans retenue, faire ce que je veux, ne pas me mettre des barrières à respecter, m'imposer des limites... Malheureusement, je ne suis pas elle, juste moi et je n'ai pas son courage.

- Tu avais tout compris, tu étais un génie.

C'est tout ce que j'ai réussi à dire. J'ai passé mon doigt sur les gravures de son tombeau. Mila Trysde, 2111-2133. J'ai laissé mes larmes couler quelque temps, voulant ainsi diluer ma culpabilité et aussi me vider de mon chagrin. Mila était un ange sur Terre. Maintenant, elle l'est dans le ciel.

Je suis finalement sortie. Il faisait nuit, je n'ai pas vu le temps passer. J'ai frissonné, malgré ma veste, le mois de mars étant froid cette année. En jetant un œil à l'heure, je me suis aperçue qu'il ne me restait plus qu'une heure avant de retrouver le sosie de ma sœur. J'ai donc pris ma voiture pour filer à mon appartement. J'ai du mal à imaginer qu'il y a un siècle, des hommes aient pu croire que nous allions utiliser des voitures volantes, quel en aurait été l'intérêt ? Heureusement que ce projet n'a pas abouti, je ne veux pas imaginer les dégâts qu'il y aurait pu avoir.

Une fois devant l'immeuble, j'ai respiré un grand coup avant de pénétrer dans le hall. Trop de souvenirs ont fait remonter ma culpabilité. Une boule est apparue dans ma gorge, cette boule que je côtoie trop à présent, mais de laquelle je n'arrive pas à m'en débarrasser. Je n'étais revenue qu'une seule fois depuis la fameuse nuit, et ça avait été très dur. J'ai ressemblé tout le courage dont je pouvais faire preuve et j'ai grimpé les escaliers pour atterrir devant ma porte, j'ai préféré ne pas prendre l'ascenseur, l'effort physique me détend toujours. Enfin, c'est ce que je me suis dit, or je sais que je ne l'ai fais que pour retarder ce moment. Sans plus attendre, j'ai ouvert la porte et j'ai filé me changer. J'ai mis une tenue complètement noire et j'ai voulu ressortir. Mais, face à ce couloir, là où elle m'avait tant supplié, j'ai calé. Je la revoyais, m'implorant, et puis, son sourire quand j'ai cédé, quand je l'ai laissé se diriger vers sa mort. C'était affreux, j'ai couru à l'extérieur de l'appartement, puis à l'extérieur du bâtiment. Je me suis assise à l'intérieur de ma voiture, essoufflée, et j'ai laissé mes sanglots s'échapper. Puis, lentement, j'ai mis le contact, allumé le moteur, et je suis parti en direction du centre. J'étais déterminée à soulever les mystères épineux de ma sœur.

Au plus près des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant