19/03/2133, 23h13

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Ma journée a été si longue et épuisante. Je rêve de pouvoir retourner quelques semaines auparavant, de me promener dans les rues, de sentir l'air frais envahir mes narines, laisser les rayons du soleil chatouiller ma peau, ne pas me soucier du lendemain. Car ce sous-sol est bien trop humide, trop sombre et trop morbide. Je me sens enfermée constamment, je n'ai pas l'impression de vivre, mais dans un sens, c'est normal, je ne vis plus, je survis.

Ce matin, après avoir petit-déjeuner, Filia et Rory sont partis de leur côté, le King ayant trouvé un moyen qui était sensé être entièrement efficace durant son sommeil. Il a donc pris la matinée pour faire écouter à Filia les voix des plus hauts placés du gouvernement. Je les ai regardés tout en écoutant distraitement les fréquences de police, pour être sûre que nous n'étions pas repérés. Au début, Rory était enthousiaste, il répétait que ce n'était pas grave, à chaque fois que la jeune femme lui affirmait avec sûreté que ce n'était pas la bonne voix, puis en enclenchait une autre. Je me suis vite lassée, de ce spectacle répétitif, alors j'ai plongé dans le mystérieux monde d'internet, surfant sur le net, et ce que j'ai trouvé ne m'a pas plu de tout.

Tous les médias, se sont rués au village où vit maman à la seconde où les interdictions pour causes de fouille ont été levées, tard hier soir. Depuis, ils interrogent tous les habitants qu'ils croisent, sans relâche. Je connais tous ces gens. Un magazine à fait, un article sur la boulangère, cette gentille bonne femme, qui nous donnait toujours des sucreries, à Mila et moi quand nous étions petites et que nous venions acheter le pain. J'ai parcouru les lignes des yeux, offusquée devant sa déclaration. Les gens ne sont vraiment pas ceux que l'on croit.

« Je ne me serais jamais douté que cette petite puisse faire ça. Elle était si gentille, je ne me serais jamais douté qu'elle puisse commettre un acte aussi terrible. Mais je suis persuadée que c'est à cause de cette triste affaire avec sa sœur, ça lui a fait perdre la tête. La pauvre petite est morte dans un accident de la route, il n'y a même pas deux mois. »

Depuis, le web s'affole, tous recherchent des informations sur Mila. La presse s'est également emparée de l'affaire. C'est fou la vitesse à laquelle ils trouvent des informations. Très vite, ils ont tout su, ils ont affiché des images de ma sœur et accompagnées ça d'un titre provoquant, me présentant comme simple déséquilibré. Cette bonne boulangère de campagne ayant déclenché un mouvement médiatique tel que s'en était tout simplement incroyable. Oubliant les tourments d'hier, la population entière se penchait sur ma famille. Ils ont vite déniché par la suite des informations sur papa. Ce qui n'a fait que nourrir encore plus les hypothèses de tout le pays qui suivait méticuleusement le déroulé de cette affaire. Les plus grands psychiatres ont émis des diagnostiques et tous s'accordaient à dire que j'étais fragile psychologiquement, que la perte de papa, suivit, même des années plus tard de celle de Mila m'avait embarqué dans une perte affective que j'essaie de combler en élevant une fillette ressemblant à ma sœur. Eux aussi l'avait remarqué. Les idées qu'ils proposaient avaient beau donner des réponses aux questions des Français, ce n'était pas les bonnes.

De rebondissement en rebondissement, j'ai regardé les journaux continus s'affoler tout au long de la journée. Après la mort de papa et de Mila, ils avaient découvert, d'après le témoignage d'une riveraine que j'avais toujours vécu dans l'ombre de ma sœur.

« Elle ne lui servait que d'ombre, elle suivait sa sœur partout, comme si elle était la plus jeune. Pendant leur enfance, ça ne s'est pas trop vu, mais après la mort du père, on ne la voyait plus. Tandis que sa sœur, elle, continuait sa vie, souriait à tout le monde, sortait »

Je me suis arrêtée là et j'ai quitté la chaîne pour passer à une autre. Ce que disait cette femme était vrai, je ne sortais plus, je ne souriais plus. J'avais mes raisons, tout comme Mila avait ses raisons de partir faire la fête tard le soir et ne revenir qu'au petit matin ! Je devais m'occuper de maman ! J'ai assumé le rôle de mère pendant ces quelques mois ! Alors, ils n'ont pas le droit de me juger, de me ridiculiser avec des choses à moitié fausses. Les larmes aux bords des yeux, j'ai résisté autant que j'ai pu à l'envi de pleurer pour écouter la chaîne suivante. Je voulais voir maman. Je savais quelle était dans sa maison, j'espérais juste qu'elle vienne jusqu'aux caméras, pour que je puisse voir qu'elle est en bonne santé, qu'elle va bien et qu'elle ne pense pas avoir tout perdue. Et justement, les journalistes eux aussi attendaient patiemment qu'elle daigne sortir de sa maison pour qu'elle vienne les voir. Elle l'a fait, après une longue attente, elle l'a fait, elle a ouvert la porte, et s'est montrée. Aussitôt, une nuée de micros sont venus se greffer à ses côtés, et des questions ont fusé. Je n'ai pas écouté ce qu'elle disait, je l'ai regardée, elle avait l'air en bonne santé, malgré le poids qu'elle semblait avoir perdu, ses poches sous ses yeux gonflés et rouges, elle allait bien. Elle s'était vêtue à la fois d'une robe rouge et d'une détermination assez peu commune sur son visage. Elle ne s'est pas montrée comme une femme abattue et triste comme elle le faisait depuis des années. Avec elle, en sortant de la maison, ce qu'elle n'avait plus fait depuis si longtemps, elle a pris un visage sûr.

Au plus près des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant