Chapitre 20

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"Les deux soldats, soupira Iris, lassée.

-Les deux soldats, confirma Théophile.

-Je ne croyais pas que vous seriez aussi en retard. Je pensais que vous aviez passé l'année 1833.

-J'aime imaginer ce qu'il se passe dans la correspondance."

La vielle dame gigota un peu sur son siège, réveillant ses membres ankylosés par une immobilité assez habituelle ces dernières années. Le biographe sourit, satisfait de ce qu'il allait réussir à obtenir.

"Vous avez donc lu ma lettre sur les Légitimistes", commença Iris.

"Les combats nous ont en vérité peu touché sur le moment, comparé à d'autres villages qui ont été saccagés, des châteaux brûlés... enfin, la guerre. On pouvait dire que l'autre avait bien réussi son coup; elle avait soulevé de vieux voisins contre d'autres vieux voisins, des frères contre des frères, et j'en passe, alors que leur tentative de coup d'état échouerait en une semaine. Le village lui en voulait pour cela. Ce n'était pas Louis Philippe que l'on tenait pour responsable; lui, il était sur le trône, et c'était tout. Dermoncourt ne faisait que protéger la France d'une attaque. Mais elle, elle attaquait. Pour moi, ce fameux jour, la Duchesse de Berry avait organisé l'assassinat de Joséphine. Et, parce que je savais que Maël en serait profondément touché, je lui en voulais de tout mon coeur, ainsi qu'à tous ceux qui l'avaient suivie.

-Je croyais que Maël aimait Mademoiselle Faure", intervint Théophile.

Iris grimaça.

"Ce n'était pas... l'amour passionnel qu'il vouait à Mademoiselle Faure. L'amour de chevalier servant. Il avait connu Joséphine lors de sa première sortie au village, quand nous étions enfants, et ils s'étaient immédiatement bien entendus. Et ils se voyaient chaque dimanche. C'était une sorte de premier amour, si, puisqu'il arrivait fréquemment à mon cousin de revenir de sa visite avec de la paille dans les cheveux, mais ils comprenaient tout à fait qu'il était noble et elle fille de paysans. Il demeurait toutefois une réelle affection entre eux deux. J'ai toujours pensé, et je pense encore que Maël préférait se confier à Joséphine plutôt qu'à nous. C'était ainsi; elle avait son âge, venait d'une autre famille, avait un caractère accommodant. En tant que cousines, nous n'aurions pas compris certains de ses états d'âme. Et maintenant que la pauvre fille était morte... Enfin, je n'y ai pas réfléchi longtemps, car l'idée de mon cousin l'oubliant vite pour Mademoiselle Faure me serrait amèrement le coeur. Je n'ai jamais eu la passion des petites gens, comme mon père, ma soeur et Maël l'avaient; pour moi, à l'époque, ils n'étaient pas aussi intéressants que les grands artistes que je pouvais rencontrer à Paris. Mais Joséphine valait sans doute bien mieux que cette pimbêche."

"Pour ce qui est des soldats, nous les trouvâmes chez la mère de Donatien, comme je l'écris dans ma lettre, tous deux évanouis. L'un était un engagé dans l'armée française, comme Maël, et l'autre était un volontaire, de bonne famille sans doute, puisqu'il portait une belle médaille en or et des armes de bonne facture au côté. Ils étaient tous deux sévèrement blessés, et les villageois voulurent les achever tout de suite, mais mon père fut plus avisé.

'Si nous nous vengeons tout de suite, nous aurons une réponse, de l'armée ou des Légitimistes, raisonna-t-il.

-Et qu'est-ce que vous comptez faire, M'sieur? demanda Monsieur Pernel, le père. On les soigne et on les laisse s'en tirer? Alors qu'ils ont détruit nos maisons et qu'ils ont tué la p'tite Joséphine et sa soeur? Si on les tue comme ça, là, ils auront ce qu'ils méritent, et tout l'monde croira qu'ils se sont entretués!'

Les autres villageois semblaient partagés. Pour mon père, cette ouverture correspondait à une chance de les faire changer d'avis.

'Vous tueriez des hommes qui ne peuvent pas se défendre? répliqua-t-il.

Mémoires du Siècle Dernier, tome 1 : Le biographeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant