Chapitre 32

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"Mon père toqua à ma porte en pleine nuit, le lendemain. Je me réveillai difficilement, tandis que mon père poussait la porte.

'Lève-toi, nous devons aller aux vignes.

-Quelle heure est-il?

-Cinq heures quarante-cinq.

-Mais il est trop tôt!

-Tu devrais être debout depuis une heure."

Je soufflai en sortant de mon lit. Mon père me prévint:

"Maël ne s'est jamais plaint.

-Je sais.

-Je t'attends en bas dans quinze minutes exactement. Je te conseille de mettre quelque chose qui ne craint pas la boue. Il a affreusement plu cette nuit."

Sur ces très sages paroles, il referma la porte et j'entendis ses pas résonner dans le couloir. Bougonne, je me dirigeai au pas de course vers ma penderie. Le personnel n'entrait en service qu'à partir de six heures; impossible de trouver notre femme de chambre à cette heure si matinale. Je devais donc me débrouiller seule. Je pris un jupon usé, une jupe trop petite, un corsage et une chemises délavées et mes petites bottines, et me rendis compte que je ressemblais plus à une diseuse de bonne aventure qu'à une jeune fille respectable. Une idée me vint en tête; les vêtements de mon cousin étaient bien plus pratiques pour aller patauger dans la boue. Je me glissai donc dans sa chambre et tâchai de trouver un ensemble à peu près à ma taille. Ceux-là seraient de toute façon hors d'usage car trop petits quand Maël rentrerait."

"Je n'eus pas trop de difficultés, cette fois-ci, à me constituer un costume. Les vêtements usuels de mon cousin semblaient tous teints en sombre, et je lui empruntai des bottes qui, elles, furent trop grandes. Pour finir, je me nouai à la va-vite une cravate en laine bordeaux au cou, remarquant que le style ne m'allait aucunement."

"Je descendis ensuite les escaliers, manteau en main, et rejoignis mon père, qui hésita entre l'indifférence et la réprobation avant de demander:

"Ce sont les vêtements de Maël?

-Les plus petits. Il ne s'en servira plus; je parie qu'il aura encore grandi à son retour.

-Je le suppose aussi. Mais tu...

-Maman s'évanouirait si je tâchai une seule de mes magnifiques robes.'

Devant mon air suppliant, il céda en soupirant.

"Suis-moi."

Nous sortîmes et il m'emmena aux écuries, où deux chevaux nous attendaient. Je dus le préparer, ce qui ne fut pas mince affaire, et le seller. Mon père me corrigea plusieurs fois car, selon lui, 'je risquais de finir à terre avec une sangle aussi lâche' ou que 'je comprimais trop les organes de ma monture'. Quand je trouvai la disposition adaptée, je le montai à califourchon. La position était beaucoup moins contraignante qu'en amazone, et je me trouvai ravie de pouvoir partir au galop au devant de mon père, qui me laissa faire sans broncher. À présent, je comprenais pourquoi mon cousin aimait ces longues promenades. Il fallait être une athlète pour suivre à cette vitesse tout en conservant sa vertu!

-Sa vertu?

-Eh bien, oui, le scribe. Les médecins avaient établi que les femmes pouvaient perdre leur virginité à cheval. Par virginité, on entend l'hymen. Vous m'avez l'air perdu, ne tombez pas en pâmoison."

Théophile haussa un sourcil ironique et ressaisit sa plume.

"Nous arrivâmes au vignoble vers six heures et demi. Je sautai de cheval, vivifiée par l'effort du voyage, et attendis mon père, qui ne tarda pas à faire de même, un demi-sourire aux lèvres.

Mémoires du Siècle Dernier, tome 1 : Le biographeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant