Chapitre 26

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"Vous avez fait forte impression, hier soir, à ce qu'il paraît, déclara négligemment Madame de Douarnez tandis que le biographe sortait son nécessaire d'écriture.

Ce dernier haussa les épaules. 

"J'ai déclaré ouvertement que le Chariot ne me faisait ni chaud ni froid."

La vieille dame eut un sourire moqueur. 

"Je comprends mieux. Vous n'êtes pas du genre à avoir peur de la Mort. 

-Je la tiens naturellement à distance. 

-Votre parfum lui déplaît? 

-Je dirais plutôt que nous savons mutuellement à qui nous avons affaire.

-Je vois. Vous avez une belle estime de vous même. 

-C'est ce que j'ai constaté. 

-J'apprécie les gens honnêtes avec leur personne. La fausse modestie me dégoûte."

Théophile hocha la tête; c'était toujours bon à prendre. 

"Où en étions-nous? reprit Iris. 

-Leroy était prêt à confronter ses frères. 

-Ah, oui, la rencontre."

"Les frères Leroy répondirent bel et bien à la lettre de mon père, et se rendirent au manoir. Je les reconnus dès qu'ils sortirent; l'aîné s'appelait Marc et avait l'air fatigué. Le plus jeune, Jules, regardait partout avec curiosité. Il n'était pas plus âgé que moi, alors que Marc semblait avoir passé la trentaine. Ce dernier serra la main de mon père. 

'Monsieur de Douarnez. 

-Monsieur Leroy.'

Nous le saluâmes de même, et mon père les invita à nous suivre. 

'Nous vous devons beaucoup, assura Marc alors que nous traversions la salle à manger. 

-Redevables? Vous ne me devez rien, Messieurs. L'initiative vient de votre frère, et de vous, qui avez fait le voyage depuis Paris. Je ne fais que prêter l'endroit.'

La légèreté de son ton fit sourire les deux frères, mais je voyais bien qu'ils étaient tendus. Ils n'avaient pas revu le puîné depuis des années.     

Celui-ci attendait sous le kiosque. Quand il nous vit arriver, il se leva, nerveux, et garda les yeux baissés. Marc s'arrêta devant lui, interdit.

'Toi...'

Nous crûmes un instant que Leroy allait essuyer une rafle de coups quand son frère lui prit violemment les épaules et se mit à le secouer.

'Qu'est ce qui t'as pris, hein? Dis-moi quel démon t'a possédé pour nous faire un coup pareil! Bon sang!

-Marc, je te jure que j'y pense tous les jours, et que je m'en veux horriblement. J'ai rassemblé tout l'argent que je te dois, et je peux te le donner...'

Le benjamin allait intervenir, mais Marc interrompit son geste, les larmes aux yeux, outré.

'Mais j'en veux pas, de ton argent! Tu peux te le garder!

-Mais alors...

-Une lettre, nom de Dieu! Une tout petite lettre avec un je suis toujours vivant écrit! Rien que ça! On est tous fils d'imprimeurs, tu nous as pris pour quoi? On te croyait mort! Mort! Et on avait même pas ton corps pour te faire un enterrement chrétien!'

Je vis le visage de Leroy se décomposer sous le coup de l'incompréhension, tandis que son aîné le prenait dans ses bras, sanglotant comme un enfant. Autant vous dire qu'il le suivit, sous le regard ému du petit dernier qui resta le plus digne de la fratrie. D'Armence, qui assistait à la scène depuis la porte, vint me rejoindre à l'arrière du groupe.

Mémoires du Siècle Dernier, tome 1 : Le biographeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant