Chapitre 15

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"Alger, le 11 juillet 1830

Mon oncle, ma tante, mes chères cousines,

Veuillez recevoir mes excuses pour le retard de ma lettre. Vous devez vous douter que les circonstances me forçant à m'occuper d'autres problèmes, j'ai dû laisser l'idée de la correspondance pour des jours moins mouvementés.

J'ai été intégré dans le corps d'infanterie de l'armée, sous le commandement de Monsieur le Général de Bourmont. La plupart de mes camarades sont des conscrits et des volontaires. Nous sommes partis de Toulon le 25 mai, et nous sommes arrêtés le 3 juin à Palme de Mayorque, d'où nous sommes repartis le 10. Beaucoup d'entre nous n'ont pas le pied marin. La plupart n'ont jamais vu la mer, et ils ont été émerveillés avant de vouloir se vider par-dessus bord. Des gens dans la même division que moi, il y a Donatien, un garçon du village. Nous nous entendons comme nous pouvons, entre les soubresauts de la situation toujours changeante et l'angoisse de se perdre de vue. Nous avons retrouvé un peu de motivation avec les plaisanteries d'un Marseillais, Esteve Fabrès, qui ne semble s'épouvanter de rien. On nous appelle par notre origine, dans notre groupe. Ainsi, nous sommes les "Bretons du Haut", ou les "Nantais" à tour de rôle.

Nous avons débarqué le 14 juin à Sidi-Ferruch, à 30 kilomètres d'Alger. Le combat se passa sans trop de dommages, ne nous attendait là-bas qu'une petite batterie de soldats, dont nous ne fîmes qu'une bouchée. La véritable bataille se déroula cinq jours plus tard, quand il nous fallut prendre le campement de Staouali, protégé par plusieurs milliers de janissaires. Donatien fut blessé à la jambe, rien de grave, et plusieurs de mes compagnons furent touchés. Je m'en tirai avec quelques écorchures. Un ange semblait veiller sur moi, en ce moment. Suivit ensuite Sidi Khalef, où Esteve Fabrès fut gravement touché par une balle et dut être envoyé au camp. La chance lui a souri, tournant le dos à Amédée de Bourmont, le fils du Général, qui y laissa la vie.

Le voyage vers Alger dura dix jours, pendant lesquels un orage redoutable nous retarda. En quelques heures, nos munitions furent hors d'état, et certains bateaux restés au point de débarquement menaçaient de couler. Mais retourner sur nos pas nous était impossible, et nous dûmes trouver le courage que nous ignorions avoir en avançant jusqu'à la ville. Tandis que nous arrivions en vue du Fort de l'Empereur, les navires français bombardaient les fortifications de la ville. Le 3 juillet, nous avions creusé les tranchées, et l'artillerie était prête à faire feu. Nous attendîmes, sous les tirs des Turcs, le 4, de 4h à 10h, et à 10h ne restaient que des ruines que nos canons avaient créés en 6h. Quand il nous fut donné l'ordre d'entrer dans la forteresse, celle-ci explosa. Les Turcs avaient mis le feu aux poudres avant de déserter les lieux, et nous fûmes rares à n'être que blessés. Une pierre me fêla un os du bras gauche, les médecins m'ont dit qu'il s'agissait du radius. Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne sentis rien jusqu'à l'arrêt des combats. Ce n'est pas aussi contraignant qu'une jambe; je peux tout de même tenir mon fusil, un bandage suffit pour l'instant, et je remercie tous les jours le Ciel de m'avoir épargné, car il y a pire que moi.

Mémoires du Siècle Dernier, tome 1 : Le biographeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant