Chapitre 12

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La vieille femme s'arrêta de conter, le regard perdu dans sa tasse. Théophile leva sa plume.

"Il était venu, finalement?

-Oui, il était venu.

-Il a été pris de remords?

-Sûrement. C'est ce que j'ai présumé, en tout cas. Ou il voulait voir ce qu'était devenu son fils. Après tout, les garçons changent beaucoup, entre quinze et dix-neuf ans. Et il n'en avait qu'un, à ma connaissance. Peut-être avait-il espéré lui parler en face à face, et qu'il nous avait vus avec lui. Peut-être ne s'en était-il pas senti la force. Je ne le saurais pas avant plusieurs dizaines d'années. Mais il est pour vous l'heure de partir, Monsieur Dieudonné."

Le jeune homme ne protesta pas, et la salua, avant de s'avancer vers la porte.

"Vous allez l'écouter?"

Surpris, il se retourna, et fit face à Iris, toujours avec sa même contenance.

"Qui cela, Madame?

-Ce bon Guillaume. Guillaume Pernel."

Théophile mit un moment à se remémorer.

"À la sortie du village? Il faudrait que j'y pense, oui. Mais comment...

-Je l'ai appris par mes intermédiaires. Ils pensent que vous avez été envoyé ici pour me discréditer, et m'ont dit qu'ils vous avaient prévenu.

-En effet. C'est ce que vous pensez? Que je suis venu pour vous discréditer?

-Pitié! Monsieur Dieudonné, si vous aviez la charge de prouver mon absence de sens commun, vous pouvez à présent prouver que je suis pleinement saine d'esprit!

-Pourquoi devrais-je le prouver?"

Iris rit doucement.

"Vous n'êtes pas là pour cela, maintenant j'en suis sûre.

-Mais pourquoi devrais-je faire cela?

-Pour convenir que ne suis plus à même de gérer mon argent, et pour m'imposer un tuteur, de préférence le plus légitime à la succession.

-L'un de vos neveux?

-Il n'en reste plus qu'un de vivant, aujourd'hui, et je doute qu'Etienne en soit capable. Il approche des soixante-dix ans, il profite de sa retraite de médecin. Il déclinerait l'offre. C'est un bon garçon; il n'a jamais voulu vivre au-dessus des autres. Il ressemble beaucoup à son père, sauf qu'il a l'esprit plus calme. Enfin, Maël a tout fait pour qu'ils aient l'esprit le plus calme possible. Non, je pensais plutôt aux jumeaux, ses petits enfants, les plus vieux en tout cas. Ce sont de bons garçons aussi. Ils doivent avoir de grands enfants, maintenant.

-Et vous pensez qu'ils voudraient la succession?

-Pas eux; les autres. Ils n'ont pas pensé que mon pécule irait autre part, c'est tout. Allez, du vent."

Après un bref hochement de tête, Théophile sortit. Quand il arriva au village, le soleil ne s'était pas encore couché; il avait le temps de faire ce que Madame de Douarnez lui avait rappelé. Il avait oublié, lui qui n'oubliait jamais!

Il se pressa jusqu'à la dernière maison. Un vieil homme assis sur sa chaise l'observa tandis qu'il arrivait.

'Monsieur Pernel, le salua-t-il en portant la main à son chapeau.

-C'est ça, lui répondit son interlocuteur. Vous êtes?

-Monsieur Dieudonné. Je suis ici pour écrire les mémoires de Madame de Douarnez."

Mémoires du Siècle Dernier, tome 1 : Le biographeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant