Chapitre 29

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La maisonnette ne se distinguait pas vraiment de celles de la rue; petite, en pierre solide grise, de la terre sableuse devant la porte. Juste en face de l'école communale. Théophile rit dans sa barbe. Les deux frères n'avaient eu aucune excuse pour louper la classe. 

Il toqua doucement, se doutant bien que seule Madame Ansond se trouvait chez elle. Un faible "Entrez" lui répondit. Obéissant, il poussa le panneau d'entrée. 

La quasi-obscurité le frappa; les fenêtres étaient occultées par des rideaux opaques. Pas d'électricité, ici: une lampe à pétrole éteinte sur la table à manger, un poêle dans une coin, un lit dans une alcôve et une personne sous les couvertures. Le biographe sentit une vague d'inquiétude le parcourir.

La silhouette se retourna; même sur-élevée, Madame Ansond paraissait vraiment diminuée. Son visage, pâle et émacié, semblait presque appartenir à un autre monde, et ses yeux vides le fixaient dans l'attente d'une présentation en bonne et due forme. Théophile se reprit, prenant soudain conscience de la situation. 

"Veuillez m'excuser, Madame. Je m'appelle Théophile Dieudonné, je travaille pour Madame de Douarnez." 

Les prunelles éteintes de la souffrante reprirent alors vie, et elle se redressa d'un coup, provoquant une quinte de toux. Le jeune homme se précipita pour la relever, la soutenant jusqu'à ce que la crise passe et qu'elle demande, pleine d'espoir:

"Madame de Douarnez vous a envoyé pour nous aider, hein? 

-En fait... 

-Je savais que c'était une bonne personne! 

-Sûrement, Madame."

Il l'aida à se mettre assise et lui apporta un verre d'eau. Après s'être hydratée, elle déclara:

"Mes fils sont au travail, mais ils rentrent ce soir. Vous savez, pour moi, y' a plus grand'chose à faire, mais eux, ce sont des bêtes de travail. De très braves garçons, qui triment jusqu'à point d'heure pour s'occuper de moi. Mais dites, ce sont mes frères qui ont parlé pour moi? S'ils m'ont pardonné, c'est bien un miracle!

-Madame, je suis sûr que Madame de Douarnez fera quelque chose pour vous le plus tôt qu'elle le pourra."

La malade sembla comprendre. 

"Vous n'allez pas nous aider, murmura-t-elle, déçue. 

-Mais je ferai tout mon possible pour que Madame de Douarnez vous aide. Je suis ici pour vous poser quelques questions. Sur votre grand-père. 

-Pourquoi mon grand-père vous intéresserait?

-Il était un ami de Monsieur de Péradec."

Devant les yeux perdus de son interlocutrice, il crut bon de s'expliquer:

"Je ne sais pas si vos fils vous ont parlé de moi. Je suis biographe. Je cherche à reconstruire le passé de Madame de Douarnez. Et je cherche le plus d'éléments possibles."

Théophile attendit, peu sûr de son moment, mais elle finit par répondre:

"J'ai honte de faire du chantage, mais... vous aurez des éléments quand vous aurez parlé de nous à Madame de Douarnez."

Surpris, il fronça les sourcils et recula un peu. Il ne s'attendait pas à cela. Réfléchissant un instant, il inclina la tête et céda:

"Je reviendrai vous voir dès que votre situation ce sera améliorée, Madame. Et je commencerai par vous envoyer un médecin."

Il s'avança jusqu'à la porte et, après avoir salué l'alitée, referma la porte sur lui. Il n'avait pas vu de femme aussi misérable depuis qu'il était arrivé. Celles qu'il croisait tôt le matin allaient au lavoir, discutant des derniers potins, solides, les joues rosies par le froid matinal. La fièvre n'aurait pas réussi à colorer le visage de celle qu'il venait de quitter. Tourmenté, il attendit l'après-midi en réfléchissant aux manières d'aborder la question. 

Mémoires du Siècle Dernier, tome 1 : Le biographeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant