Chapitre 13

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"Que vous a-t-il dit?", demanda la vieille dame, assise dans son fauteuil, regardant le jardin, comme à son habitude.

La bonne l'avait emmené dans le salon du jour précédent. Madame de Douarnez avait donc décidé de se dépoussiérer les idées.

"J'ai bien dormi, quoique la nuit fût un peu froide. Et vous?" répondit Théophile en installant son matériel.

Son interlocutrice grommela quelque chose d'incompréhensible, et le jeune homme soupira:

"Il n'a rien dit du tout.

-Tant mieux. Je n'aime pas les louanges injustifiées.

-C'est sa femme qui a parlé."

Un silence s'étendit, durant lequel les deux se regardèrent en chien de faïence. Puis Iris avoua:

"Elle est plus objective que son mari.

-Alors ce qu'elle dit est vrai."

Nouveau silence.

"Vous voulez me dire la vérité, mais vous me cachez des choses.

-Assez! J'ai été le parangon de la petite noble hautaine qui croyait mériter mieux, c'est vrai. Mais je ne vous ai jamais caché mon caractère irascible, à ce que je sache!

-Non, c'est vrai.

-Alors quand continuons-nous?"

Madame Douarnez ne lui avait certes jamais caché son caractère impossible, et son penchant tyrannique qui empirait avec l'âge. Cette mission qui lui avait été confiée lui promettait une certaine fatigue morale avant sa fin. Impassible, il s'assit.

"Je vous écoute.

-Vous n'aurez pas à m'écouter, cette fois-ci."

Devant son air surpris, elle expliqua:

"Ce n'est pas mon histoire que vous écrirez pendant un certain temps. Je vous avais dit qu'il ne s'agissait pas seulement de la mienne, n'est-ce pas?

-Il me semble.

-Vous écrirez donc celle de mon cousin. Nous nous verrons tous les jours, mais je vous donne ceci."

Elle lui tendit une liasse de lettres.

"Les siennes, pas toutes les nôtres. Je préfère vous raconter ce qu'il s'est passé ici, mais ce qu'il s'est passé là-bas, ce qu'il a vécu, je ne suis pas en mesure de le faire. Et il n'est plus là pour témoigner non plus. Ne reste que notre correspondance.

-Vous me feriez autant confiance?

-C'est une nécessité."

Le biographe prit les papiers.

"Avant cela, vous devez savoir que nous ne reçûmes aucune nouvelle, pendant trois mois, ou plus, je ne m'en rappelle plus."

"Les jours s'écoulaient doucement. Nous n'allions plus à Paris que quelques fois, et cela me manquait. Tout comme mes disputes avec lui. J'espérais qu'il s'en languissait aussi. Je n'avais plus personne avec qui débattre, ma soeur ne pensait qu'à son Auguste, qui tardait à faire sa demande, et qui pourtant la voyait à chaque soirée où nous allions, et mes parents... et bien je n'avais pas à discuter avec eux, cela ne se fait point. Il y a un cas, un seul, sur lequel nous eûmes notre plus violente querelle, et ce fut sur le départ de Maël."

"Nous étions à table, et l'air semblait lourd. Le déjeuner se poursuivait en silence, et nous n'entendions que le tintement des couverts. C'était, peut-être, deux semaines après que Maël eût quitté la Bretagne. J'étais d'une humeur massacrante, et mon père ne m'aidait point en récapitulant les étapes de son voyage.

Mémoires du Siècle Dernier, tome 1 : Le biographeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant