Chapitre 16

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"Manoir Douarnez, le 22 octobre 1830

Notre cher neveu,

Notre précédente lettre nous a été renvoyée, probablement à cause d'une faute dans le tri des Postes. Tout le monde se porte comme un charme, y compris Iris, qui peut de nouveau se rendre à Paris. Nous ne pourrons hélas jamais changer ce qui a été ancré par Dieu dans sa nature, et s'il est dans la nature de ta cousine d'aimer Paris, nous ne pouvons nous y opposer. Il ne lui restera plus qu'à prendre un mari habitant régulièrement la capitale.

Nous sommes ravis de constater que tu vas bien, et avons bien transmis tes mots à Madame Ansond, qui est ravie de savoir que la constitution robuste de son fils n'a pas changé. La bataille a dû être rude, et connaissant ta détermination, nous ne doutons point que ton bras guérira, avec l'aide de Dieu. Mais, comme tu l'as dit, ne joue pas au plus téméraire. Un os fêlé peut devenir contraignant s'il est mal soigné.

Le nouveau roi est maintenant Louis-Philippe, chose dont l'on doit déjà t'avoir informé. Nous supposons, grâce à tes lettres, que la situation en Algérie n'en a pas vraiment été affectée, ou que le trouble n'a pas franchi les lignes du haut commandement. La situation ici-même se règle, et Paris se remet. Nous pensons avoir échappé à un soulèvement national; l'événement fut sans aucun doute moins grave qu'il y a quarante ans.

Je te dispenserai biensûr mes conseils quand le moment sera venu. Pour l'instant, concentre-toi sur le fait de bien te porter, et sur ton poste. Ne va pas chercher de risque là où il n'y en a pas.

Nous avons engagé la petite Joséphine Brabez à la cuisine, Madeline a dû quitter son poste pour s'occuper de sa mère. Nous lui envoyons un médecin toutes les semaines, comme tu me l'avais demandé avant ton départ. J'aurais dû considérer ton avis plus tôt, cela m'aurait évité la perte d'une travailleuse qualifiée.

L'Algérie semble demeurer hostile aux Français, cependant, quand nous lisons tes lettres. Nous espérons de tout cœur que le conflit se terminera bientôt et que tu seras renvoyé dans les plus brefs délais dans une caserne plus proche.

Nous pensons à toi,

Ta tante, ton oncle et tes cousines, Monsieur et Madame Pierre de Douarnez"

"Alger, le 24 novembre 1830

Mon oncle, ma tante, mes chères cousines,

Ces derniers mois ont été agités. Nous avons dû faire face à un harcèlement continu de la part de tribus kabyles, et notre haut-commandement a décidé d'envoyer mon régiment à Oran. Nous avions dû, il y a un peu plus de trois mois, rebrousser le chemin à cause de l'abdication de Charles X, et aujourd'hui, ils prévoient de nous y envoyer de nouveau. Le désordre là-bas est, à ce qu'il paraît, tel que le Bey ne peut plus y faire face. Nous partons donc en décembre. Si vous m'écrivez pendant cette période, je doute de recevoir les lettres. Je vous écrirai de nouveau pour vous faire part des dernières actualités sur la situation.

L'avantage est que nous mangeons, quand nous le pouvons, des oranges délicieuses. Je ne pourrai hélas pas vous en envoyer. Elles poussent dans les vergers berbères, et ceux-ci ne sont pas vraiment enclins à nous en donner. Je ne pourrai pas assister à l'anniversaire de Lorelei cette année, mais je le lui souhaite de loin.

Je vous demande pardon pour mon absence de ces derniers mois, et vous promets de rester en vie jusqu'à ma prochaine lettre.

Je vous embrasse,

Maël de Péradec"

Cette missive était courte. Cela étonna Théophile; d'après ce qu'il avait lu, Maël de Péradec, même s'il restait très réservé, ne se contentait pas d'informer sa famille qu'il était toujours vivant. Son style d'écriture, bien que très prévenant, laissait présager qu'il y avait eu une urgence. La prise d'Oran? Peut-être. Du moins les préparatifs.

Mémoires du Siècle Dernier, tome 1 : Le biographeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant