Chapitre 33

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"Le lendemain, je me levai avant l'aube, comme le jour précédent, sans aucune aide. La tâche ne fut pas ardue; je n'avais presque pas dormi, ressassant l'immense méprise qui m'avait poussé à agir de la sorte, et l'immense méprise avec laquelle j'avais agi. Je remis des habits de mon cousin, me doutant bien que j'allais recommencer ce sale travail, juste par punition. Il n'en fut rien."

"Quand je descendis, personne ne m'attendait dans le vestibule. Je cherchai un moment au rez-de-chaussée; personne. Sûrement alertée par ma démarche précipitée, Agathe me trouva dans la cuisine.

'Mademoiselle, mais qu'est-ce que vous faites ici à c't'heure?

-Je cherche mon père. L'aurais-tu vu?

-Mais il n'est pas encore levé, Mademoiselle!'

Ainsi, c'était cela, ma punition. Il arrêtait ma mise à l'épreuve. Je pouvais comprendre, après le caprice que je lui avais fait. De toute façon, je n'aurais jamais su comment lui adresser la parole."

"Comme j'avais deux heures à ne rien faire, je voulus aller prendre un manteau et un chapeau à Maël pour aller faire un tour dans les environs. Je serais bien revenue pour le petit-déjeuner de huit heures, auquel mon père participait rarement. Il était à cette heure parti dehors ou enfermé à faire ses comptes. Personne ne savait vraiment ou le trouver jusqu'à midi.

'Agathe, pourras-tu prévenir mes parents, si jamais ils se lèvent avant mon retour, que je suis partie faire une promenade jusqu'aux vignes et que je serai revenue pour le petit-déjeuner?

-Toute seule, Mademoiselle? s'étonna ma bonne.

-Oui. Je ne risque rien; le soleil va se lever.

-Biensûr que si. Il est hors de question qu'une jeune fille, habillée en homme et avec des mains dans cet état sorte seule, à cheval et avant l'aube.'

Mon père se tenait dans l'encadrement de la porte de la cuisine, habillé à la va-vite; il ne s'était ni coiffé, ni rasé. Je ne l'avais jamais vu aussi négligé qu'à ce moment-là. Je baissai la tête, toujours fautive. Il s'avança, saisit la miche de pain de la veille et en coupa deux belles tranches, tandis qu'Agathe s'activait à faire chauffer du bouillon sur le potager. Avec cela vint du lard séché. Un vrai repas paysan, très différent de mon thé au lait et des petits biscuits frais du matin. Il s'assit, un bol fumant devant lui, et m'invita à faire de même. Je lui obéis avec un air contrit, et le regardai manger en silence. Il s'arrêta d'un coup et regarda Agathe.

'A-t-elle mangé, ce matin? l'interrogea-t-il.

-Je serais bien incapable de vous répondre, Monsieur. Elle était debout bien avant moi.

-As-tu mangé autre chose que ta langue, ce matin, Iris?'

Me rendant compte qu'il me parlait, je secouai la tête. Aussitôt, ma bonne se dépêcha de me servir mon thé. Les biscuits, biensûr, n'étaient même pas encore au four. Mon père me tendit la deuxième tartine; je le remerciai.

'Avec l'exercice que tu as fait hier, je ne veux pas que tu t'évanouisses en pleine promenade.

-Vous venez de dire que -

-Qu'y aller seule était trop dangereux. Maintenant, si tu veux bien me laisser le temps de me préparer, je t'accompagne. Et Agathe, changez-lui ces bandages sanguinolents. Les rênes pourraient lui glisser des mains.'"

"Nous finîmes notre repas de la même façon que nous l'avions commencé, et retournâmes dans nos chambres respectives. Mes nouveaux bandages furent, en effet, les bienvenus. Je redescendis ensuite, et trouvai mon père dans les écuries.

Mémoires du Siècle Dernier, tome 1 : Le biographeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant