"Nous devons nous revoir ! A partir de maintenant je suis ton modèle attitré, Chloé !"
Son sourire est... éblouissant, éclatant, aveuglant... resplendissant. Pourquoi me sourit-elle ainsi ? Pourquoi tient-elle tant que ça à me revoir ?
Mon modèle attitré.
Je mentirais si je disais que ça ne me fais pas plaisir...
Au contraire ! Avoir un modèle officiel m'arrange bien.
Seulement... J'ai comme une crainte. Un mauvais pressentiment pour la suite. Notre suite. Léa et Chloé. Y'a-t-il ne serait-ce qu'une suite à cette histoire insensée ? Je ne pense pas. Cette folle idée lui passera. Elle m'oubliera.Elle lâche mes mains, referme avec soin son chemisier fleuri, remet ses sandales qui avaient été ensevelies sous le sable et commence à grimper sur les gros rochers qui nous séparent du monde réel.
Elle me jette une dernier regard, me fait un signe de la main et disparaît.D'accord. Très bien. Et maintenant ?
Je ramasse mon gobelet transparent, vide, remet mon sac sur mon épaule gauche et emprunte le même chemin que Léa, quelques minutes avant moi. La plage commence à se remplir. Des enfants jouent au ballon, à ma droite, au bord de l'eau mouvementée. Leurs parents discutent calmement, allongés sur leurs serviettes, quelques mètres plus loin. Il y a de nombreuses familles, des amis venus ensemble passer du bon temps et des personnes âgées qui marchent tranquillement, main dans la main, au bord de l'eau.
Je descends de mon perchoir, mon récipient vide dans ma main droite, mes chaussures reliées d'un nœud fait à l'arrache avec les lacets de ces dernières dans la gauche. Je commence à marcher difficilement dans le sable irrégulier. J'esquive deux, trois personnes et, arrivée sur un terrain plus stable, je laisse tomber mes chaussure sur le sol en relevant doucement la tête. Un groupe d'adolescents arrivent en face de moi. Ils vont en direction de la plage. Mais malheureusement, sur tout les adolescents se trouvant dans cette ville, il fallait que je croise ceux avec qui je m'étais brouillée.La bimbo de service, alias Maeva. Des personnes grises. Et Tim, en fond, probablement traîné jusqu'ici contre son gré.
Lorsqu'ils me voient, leurs rires cessent. Ils s'arrêtent. Je finis de lasser mes chaussures, réajuste mon sac et avance en feintant l'ignorance vis-à-vis d'eux. Je passe à côté du groupe, lance un regard désolé à Tim et une voix insupportable m'arrête dans ma marche.
"Tu pourrais dire bonjour."
Elle se tourne de moitié pour observer ma réaction. Ses seins se balancent grossièrement à chacun de ses mouvements. Elle porte un short trop serré, des tongs de mauvais goût et un haut de maillot de bain vert. Ce dernier ne cache que ses tétons que l'on devine percés.
Léa est bien plus belle qu'elle... Au moins on ne se lasse pas de la regarder ! Maeva, elle, pique les yeux. Et dire que c'est ce genre de personnes qui plaisent aux jeunes d'aujourd'hui....
Je l'imite et ne la regarde que d'un mauvais œil. Je la vois frissonner.
Je souris, satisfaite de mon effet et lui réponds."Veuillez m'excuser, j'ai mieux à faire. Sur ce..."
Et je pars. Sans me retourner. Je me la joue un peu mais j'étais stylée quand même !! N'empêche.... La recroiser m'a énervée. Je ne peux pas le nier... Je ne l'aime pas du tout. Sa simple présence m'insupporte.
Lorsque je croise une poubelle, j'y jette le gobelet en imaginant le visage de Maeva dessiné dessus et emprunte doucement le chemin pour rentrer. Il est déjà 10h13. Je ne veux pas non plus que ma mère pense que je la fuis. C'est totalement faux d'ailleurs. Je ne fuis pas.Mais l'air matinal me fait du bien. Je pense que ces sorties vont rentrer dans ma routine.
En rentrant, mon frère est le seul encore endormi. Je salue mes parents silencieusement, d'un signe de tête, et monte directement dans ma chambre. Je me déchausse, pose mon sac et sort mon carnet. Je l'ouvre délicatement et regarde mon dernier dessin. Oui. Aucun doute. Léa est bien plus belle que toutes les autres personnes de ce monde.
Ses seins en forme de pommes.
Ses lèvres en cœur.
Son nez parfait.
Ses cheveux de jais.
Par contre... Son caractère est à revoir... Parfois elle a des réactions digne d'une enfant, et parfois elle me regarde de haut. Elle me regarde avec des yeux si... adultes ? profonds ? séducteurs ? Je n'en sais rien. Elle est étrange. Ses mains étaient chaudes. Mais ses actions... Dénuées de sens.
... C'est ainsi que je la voyais à travers mes yeux...
C'est ce qu'elle avait dit en caressant ma feuille. Pourquoi ?
Pourquoi ?Je caresse à mon tour l'épais papier.
"CHLOÉ !"
Je sursaute à l'entente de mon nom. Ma mère. Que me veut-elle maintenant ?
"Oui ?
-Descends. Il y a quelque chose pour toi."Ha ? Ce n'est tout de même pas pour se faire pardonner ? C'est ridicule. Je ferme mon cahier et descends, curieuse de cette appel inattendu.
Ma mère est dans l'entrée, légèrement gênée à cause d'hier, une enveloppe dans les mains. Elle me la tend, je la prends sans rien dire et remonte dans ma chambre. Une fois dans ma chambre, je m'adosse contre ma porte qui se ferme sous mon poids et observe attentivement l'enveloppe. Elle dégage une douce odeur. Comme une eau de toilette pour femme. Roses ? Lilas ? Cerisiers ? Je retourne cette dernière et vois un autocollant tête de chat présent pour garder l'enveloppe fermée. C'est mignon. Enfantin mais mignon. Mais qui m'envoie ça sérieux ?
Je finis par l'ouvrir.Un contrat. Complet. Daté signé tamponné par la mairie.
Je cite :" [...]
Ce contrat servira à officialiser des paroles pouvant être considérées comme "dites en l'air". Il y a plusieurs copies de ce document qui sont actuellement en ma possession. Il sera à conserver et à garder en lieu sûr en cas d'éventuels accidents. Ce contrat sera, la preuve du lien qui nous unit.
Moi, Léa Flamel, je me proclame nouveau modèle de cette merveilleuse artiste rencontrée sur la plage, Chloé Garnier.Fait le mardi 11 juillet 2018.
Signatures :[...]"
Léa Flamel. Je viens de rencontrer Léa Flamel et elle connaît déjà : mon nom, alors que je ne lui ai jamais dit, et visiblement mon adresse pour y avoir déposé cette lettre il y a à peine trois minutes ! Elle est folle... Ce n'est pas possible autrement. Un contrat... On n'a jamais vu ça ! Mais qui fait ce genres de choses ?
Dans l'enveloppe, je sors également une lettre. Je la déplie et la lis inconsciemment à haute voix :
"Ma chère Chloé, je sais, je sais.... tu dois me prendre pour une vraie folle. Ce n'est pas grand chose rassure-toi ! Je ne suis ni une stalkeuse, ni une psychopathe. Je ne t'observe pas de ta fenêtre, t'inquiètes..... - j'ai quand même vérifié au cas où - Je pense simplement que tout doit être promis par écrit. Daté, signé. Au moins il nous reste une trace de cette promesse que l'on s'est faite. Je serais ton modèle. Est-ce une excuse pour te revoir ? Probablement... Mais j'ai tout de même quelques questions pour toi, Chloé... Pourquoi m'intrigues-tu à ce point ? Pourquoi sembles-tu si triste lorsque ton regard se perd dans l'océan ? A quoi penses-tu dans ce genre de moments ? Pourquoi refuses-tu de t'ouvrir... ne serait-ce qu'un peu... au monde qui t'entoure ? De quoi as-tu si peur ? Tu m'intrigues. Désolée, je n'y peux rien. Et puis, ton dessin était juste sublime ! Personne ne m'avait jamais dessinée. Alors pour une première, je suis ravie. Re-dessine moi. Encore et encore ! Tu ne peux pas savoir à quel point tes yeux brillent lorsque tu dessines. Ignores-moi si je t'embête. Mais dessines et ne t'arrête jamais. A demain, Chloé. Signé Léa Flamel. PS : Je ne te forces pas à signer le contrat. Non, tu n'y es pas obligée. Mais si tu veux, comme moi, entretenir ce lien qui nous unit désormais, signes cette preuve Chloé. Comme moi je l'ai fais. Sinon, brûle cette lettre. Ainsi, seules les étoiles se souviendront de ce ruban, rouge et brillant, attaché aux deux extrémités à nos frêles poignets."
Écrite à la main. Les paragraphes sont très espacés ce qui facilite la lecture. Lorsqu'elle remarquait qu'il y avait un espace trop vide, elle y rajoutait de petits cœurs. Les courbes de ses lettres sont magnifiques. Comme l'écriture soignée d'une institutrice. Et ses mots... Me font quelques choses.
Suis-je triste ?
Pourquoi ?
De quoi ai-je peur ?
Pourquoi ?Le lien qui nous unit...
Ce ruban accroché à nos poignets...D'un côté... Ce serait dangereux de revoir cette fille. Elle me poserait toutes ces questions auxquelles je refuse de répondre... Toutes ces choses que je désires garder secrètes...
"Je soussignée Chloé Garnier...."
... Mais d'un autre côté... J'ai besoin que quelqu'un les découvre.