Chapitre 28 : L'après-bonheur

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Deux ans ont passé depuis cet été là.

Aujourd'hui encore, je me souviens de la voix tremblante de sa mère au téléphone. Je me souviens de l'heure tardive, du froid inhabituel et de la peur que j'ai ressenti en voyant son nom s'afficher sur mon cellulaire. Je me souviens de ces quelques mots, de l'arrêt momentané de mon cœur et de la précipitation avec laquelle je suis allée réveiller mon père. 
Je me souviens juste de ces quelques mots, de l'adresse qu'elle m'a donnée et du trajet interminable que j'ai débuté, en silence, avec mes parents et mon jeune frère qui avait insisté pour nous accompagner. Tous avaient été réveillés par mes cris et mes supplications. 

J'ai finis le lycée, je viens tout juste d'avoir 18 ans. En septembre, j'entre aux Beaux-Arts. Je suppose que j'y étais destinée. Je suppose qu'elle elle le savait. Où j'irai. Ce que je ferai de ma vie. Le genre de personne que je deviendrai. Je suis sûre qu'elle le savait. J'aurais eu l'impression de lui faire honte ou de la déshonorer si je n'avais pas choisit cette voie. C'est sa faute finalement, si je suis restée l'Artiste de la famille.

Cet été-là... fut le plus beau de toute ma vie. Inutile de revenir sur ce qu'il s'est passé. On s'est aimées c'est tout. Un premier amour au début affreusement chevaleresque et romantique, et à la fin monstrueusement tragique. J'ignore si cette histoire m'a rendue plus mature ou encore plus renfermée. J'ignore si je me suis sentie coupable. J'ignore si je me suis reprochée d'avoir, une fois encore, causé la souffrance de quelqu'un. Je ne me souviens plus ce à quoi je pensais exactement. J'étais simplement triste. Mais... me connaissant... il est certain que je me suis faite des reproches. Peut-être qu'en grandissant, j'ai su faire la part des choses. Peut-être que je peux, seulement maintenant, affirmer que je l'ai aimée. Que je ne suis pour rien dans son accident. Que j'ai été victime plus que coupable en subissant la perte de deux êtres proches au cours de ma vie.
D'abord mon frère qui a été dans un coma mineur durant un court mais insupportable laps de temps suite à une querelle d'adolescents immatures dont j'étais la source.
Puis Léa. Ma chère et tendre. Victime d'un accident de voiture. Un choc puissant et le trou noir. Plus rien. Plongée dans un coma de stade 3, voire 4 d'après les médecins. 

En arrivant sur place, aux alentours de 02h00, elle était déjà sortie du bloc opératoire. Sans succès de "réanimation". Je l'ai trouvée allongée dans d'horribles draps blancs, enveloppée d'une odeur  infâme qui n'était pas la sienne et entourée d'odieux humains en blouse blanche, tous portaient un masque de tristesse sur le visage. De grands enfoirés. Je me suis précipitée à son chevet. "On a rien pu faire...". Bande d'hypocrites. Son visage était impassible. Blanc comme un linge. Elle ressemblait à une de ces anciennes poupées de porcelaine. Silencieuse, la peau... froide.
Son cœur battait et résonnait dans toute la pièce en un bip régulier. Le mien frémissait à chaque silence. J'avais peur que, soudainement, ces montagnes, toutes similaires, s'écroulent. Ce petit bruit... c'était la seule preuve qu'elle était encore un peu là.
En tenant sa main, j'ai commencé à pleurer. Où était sa chaleur habituelle ? Où était la force qu'elle y mettait toujours pour me serrer contre elle ? Où était... l'azur de ses yeux ?

Dans le but de restée en vie, plusieurs machines étaient branchées à son organisme. 

Je crois que c'est en commençant à pleurer que j'ai crier de douleur. J'ai crier. J'ai crier. Entends-moi. Entends-moi. Elle allait se réveiller, pas vrai ? Il fallait qu'elle se réveille !! Et me voilà, deux ans plus tard. Comme je le lui ai promis en la quittant cette nuit-là, je suis venue la voir chaque week-end. Chaque vacance. Chaque été je les passais assise à ses côtés. J'avais beau lui parler, la supplier de me revenir, lui exposer la souffrance de mon cœur, ses yeux restaient clos. Parfois je passais des heures entières à la regarder. Juste la regarder. J'attendais qu'elle bouge. J'attendais de voir se mouvoir ses lèvres. J'attendais de voir frémir ses doigts. Le dessous de ses yeux est resté légèrement violacé, sa peau blanche, ses cheveux ébènes et ses lèvres roses. Un rose pâle et malade. A chaque fois que j'entrais dans la pièce, elle avait maigris, sa peau s'était éclaircit.
Lorsque les heures défilaient et que je ne pouvaient rien faire d'autre que de me souvenir, je me tuais à mettre des mots sur ce corps immobile. Je me remémorais sa voix. Je me remémorais l'éclat de ses yeux. 

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