5h32
Mes paupières s'ouvrent doucement.
Difficilement.
Une lumière aveuglante me force à les fermer de nouveau.
J'entends des oiseaux.
Je sens une odeur de lessive.
L'odeur des lilas.
Ces fleurs trônant devant ma fenêtre.
J'entends une eau lointaine.
Des vagues.
Des rapides.
Toutes ces douces explosions de sons et d'odeurs doivent être nées du fait que je n'ai pas fermé ma fenêtre la veille.
Il fait froid.
J'ai froid.
Je remonte l'épaisse couverture claire - dont même en été je ne peux pas me passer - sur mon épaule dénudée et pâle.
Quelques mèches de cheveux chatouillent le bout de mon nez.
J'ai mal au cœur d'avoir retenu des mes larmes la veille.
Je ne me souviens pas du moment où je me suis endormie.
Du moment où j'étais trop fatiguée pour continuer de réfléchir à cette vie de supplices.
C'est comme si rien ne s'était jamais passé.
Je ne suis plus en colère, mais je ne veux pas parler pour autant.
J'enfonce mon visage encore clos dans mon oreiller parsemé de pétales ayant vagabondé dans la nuit.5h43.
Personne ne doit être réveillé.
Tout le monde doit dormir.
J'ouvre les yeux.
Je m'habitue à l'étoile qui se cache et joue derrière l'arbre fleuri dont l'odeur m'a sorti du rêve.
J'ai mal au cœur.
Je frissonne, me relève et observe ma chambre. Silencieuse.
Tout est en ordre.
Je me suis endormie toute habillée.
Mes croquis sont encore sur mon bureau, étalé comme pour y voir plus clair.
Comme si j'avais cherché à comprendre le sens de cette rencontre.
Le sens véritable de cette femme aux cheveux de jais et au regard doux comme la lune.
Je frissonne.5h56.
Je me décide enfin à sortir de ces bras qui m'avaient si bien enveloppés cette nuit, je me déshabille au fur et à mesure que j'avance vers la salle d'eau, étalant tous mes vêtements, un par un, sur le sol. Signe de mon passage. Il ne faudra pas compter sur moi pour les ramasser.
Sans prendre la peine de me regarder dans le miroir, je rentre dans la grande douche. L'eau chaude ruisselle sur ma peau blanche. Mes cheveux s'alourdissent. Mes yeux clos forcent mon imagination.
Je me sens bien.
Dommage que l'eau manque à certaines personnes.
Mais je suis bien là. Alors n'y pensons pas.
Ma mère m'a énervée hier. La soirée était catastrophique. On se serait cru dans un film bien nul et dont le scénario avait été finit à la pisse. Y repenser m'énerve.
L'eau ruisselle, elle me fait frissonner.
Un gros soupir s'échappe de mes lèvres.
Si seulement tous mes poids s'échappaient en même temps que lui. J'aurais aimé que les souvenirs de la veille s'enfuient également. Que les conneries de ma mère soient remplacées par des caresses. Des mots doux. Une affection dont je manque apparemment...
C'est ridicule.Je passe une main humide sur mon bras gauche et remonte jusqu'à l'épaule. Pourquoi ce geste ? Je n'en sais rien. Je ne reste jamais immobile lorsque je prends ma douche. J'ai besoin de toucher chaque parcelle de mon corps. Comme si je voulais m'assurer qu'il était toujours là. Que j'étais toujours vivante malgré tout. Que l'eau qui ruisselle sur mon corps n'est pas le douce sensation d'une mort que j'aurais parfois pus espérer.
Qu'est-ce que je raconte...Je sors. Probablement au bout de quelques longues minutes. Mes cheveux, trempés, laissent échapper des gouttes par leurs pointes. Je reste là. Droite, immobile et silencieuse. Dans cette pièce vide de sens. Je ne cherche pas à me sécher. J'ai l'impression d'être encore endormie. "Faites que ma vie soit un cauchemar, comme ça je pourrais, un jour, m'en réveiller." Mais, peu importe le nombre de fois où je souffre, je reste endormie. Je refuse de me réveiller.
Je finis par doucement tourner la tête vers la gauche. Miroir. Un grand miroir occupant tout le mur. Mon reflet est sans goût. J'ai froid. Je suis trempée. Désemparée et trempée. Endormie mais parfaitement réveillée.
Je me regarde. Comme si c'était la dernière fois.
Debout, sortant à peine de la douche, une jeune adolescente s'observe dans le miroir. Le plus triste ? C'est qu'elle n'y voit rien.
J'ai envie de pleurer.
Je me suis entièrement tournée vers moi. Que dire de plus ? Je m'observe c'est tout. Nue. J'observe ce que je ne montre à personne. J'observe ce qui, il n'y a pas si longtemps encore, me faisait complexer. J'observe les quelques vergetures de mes fesses. J'observe la pâleur de ma peau. J'observe la maigreur de mon corps. J'observe mes formes. J'observe tout et rien à la fois.
Je me recoiffe, coinçant au-dessus de ma tête des mèches qui m'empêchaient de bien me voir. J'aime bien la forme de ma poitrine. J'aime bien mes mains aussi. Et j'aime mes yeux. J'aime tellement mes yeux... Sans eux tout serait impossible pour moi. Être aveugle... Je sais que ce monde est pourri, qu'il est horrible et cruel, mais je veux le voir. Je veux, comme ce matin, voir la simplicité d'un soleil taquin. Je veux voir les vagues, toutes différentes, de notre infinie mer. Je veux voir un ciel, parsemé de quelques blancs nuages. Je veux voir les mots magnifiques des plus grands auteurs. Je veux voir les couleurs des peintres, les traits précis des mangaka. Je veux continuer de me voir.. Dans ce grand miroir. Me voir évoluer. Voir mon crayon de bois parcourir cette feuille blanche.
Comme une lame coupant une peau pâle et innocente.
Je veux voir le sourire éclatant des humains.
Je veux non seulement les voir sourire mais vivre.
Je veux voir jusqu'où l'humanité ira. Je veux être là quand tout dégénéra. Je veux le voir. Je veux tout voir.
Je veux la revoir.