9. Arn-Hak

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Elizabeth

Je rentre à la maison seule, à pied. J'avais précisément demandé qu'on me laisse sans chaperon ce soir. Ce que j'avais prévu était bien trop important pour me faire surveiller ou presser par Quentin. Je sais que tout le monde est sûrement déjà rentré. Ce que je n'attendais pas, c'est Klaus et Hakan qui faisaient le pied de grue dans le salon. J'enlève ma veste et arrange mes boucles blondes pendant qu'ils me sermonnent.

– On peut savoir où tu étais ? se fâche mon grand frère.

– J'ai été prendre un café après les cours et me voilà, je réponds calmement.

– Mon père rentre d'une minute à l'autre ! hurle ma cousine. C'était pas le moment ! D'ailleurs t'as pas intérêt à exagérer dans les jours qui viennent.

– Contrairement à toi, oncle Lawrence n'est pas toujours sur mon dos. Je ne fais pas partie de son « business plan ».

Ma réflexion est beaucoup plus sèche que je ne l'aurais souhaité. Malheureusement, ma discussion d'après les cours m'a remontée, le fait de devoir la garder secrète encore un moment ne m'aide en rien non plus. En fait, je suis presque dans une colère noire. Je dis « presque » car je ne me fâche jamais. Je suis d'une nature joyeuse et pétillante, une jolie blonde pleine de vie. Je ne veux pas me montrer vilaine avec ceux qui m'entourent, je trouve que ce n'est pas une manière de régler les problèmes. Chacun de nous a été forgé par oncle Lawrence, moi il m'a poussée à développer ce côté calme et concentré. Soit... Je m'égare.

– Si ça te convient pas, crie encore Hakan, t'as qu'à la prendre, ma place !

– Tu ne tiendrais pas une semaine dans ma peau, Hak, je réponds. Arrête d'en rajouter inutilement.

– Vous avez fini de vous disputer ? s'interpose Klaus. Vous en venez toujours aux mains quand oncle Lawrence est dans le périmètre de Londres. C'est quoi votre problème ?

– C'est parce que vous, vous êtes toujours à cran quand il arrive, je réplique. Mais Hakan, elle, elle mord ! Carrément.

Ils me dévisagent un moment avant de s'entre-regarder. Ils considèrent rapidement ma remarque avant d'en débattre.

– Elle n'a pas tort, admet Klaus. Tu es plus agressive dans de pareils moments.

– Et en sachant qu'il va lui passer un savon c'est pire, je renchéris.

– Ça va j'ai compris ! bougonne ma cousine. Désolée Lizzy.

– Waw...

Je suis abasourdie par ses excuses, d'autant plus quelles semblent authentiques. S'il y a bien une chose que je sais de Hakan, c'est qu'elle ne se montre jamais en position de faiblesse. C'est le cas en ce moment-même.

– Hé bien, déclare Klaus. Il faut croire qu'avoir un ami te rend plus conciliante avec autrui.

– C'est... mal selon vous ? demande alors l'aînée de Selens.

– Pas du tout ! Je la corrige, au contraire Hak...

La réflexion de Klaus saute comme une révélation à mes yeux : le partenaire de travail de Hakan la rend bien meilleure. Quoi qu'il puisse se passer entre eux, c'est bénéfique pour elle et comme je ne veux que son bien... Ma cousine mérite aussi de s'épanouir après tout. Bon c'est décidé, je vais la soutenir et vraiment l'aider, cette fois. Qu'importe le prix à payer.

Nous commencions justement à nous apaiser quand la porte d'entrée claque à nouveau, j'entends deux hommes discuter entre eux : oncle Lawrence sommant des ordres à Quentin qui acquiesce. D'instinct, comme un signal, je sors mon portable et envoie un texto en croisant les doigts. Ensuite, je me pare de mon plus beau sourire afin de faire un accueil chaleureux à mon oncle.

Ça y est, tout est en place, que le spectacle commence.

*

Après le dîner, nous nous asseyons tous dans le salon. On discute en toute fausseté pendant que Grace sert le thé.

– Au fait Hakan, dit Lawrence, il faudra que nous parlions en privé tout à l'heure. Tu dois te douter du sujet de conversation.

– Oui Père, répond docilement l'intéressée.

Il n'avait rien dit au sujet des sorties intempestives de sa fille jusqu'à présent. L'atmosphère devient lourde de façon si soudaine, nous nous regardons en silence, comme si la remarque planait sur le groupe entier. J'ignore ce qu'elle va devoir subir comme remontrance, même si je n'ai jamais vu notre oncle lever la main sur qui que ce soit. Le problème, c'est qu'une punition de sa part est toujours si exagérée que nous évitons à tout prix de nous méconduire. Faites que je puisse la sauver avant, vite !

Ma prière est exaucée ! Quelqu'un frappe a la porte d'entrée, mais je suis la seule à ne pas être étonnée. Juste à temps ! Quentin ouvre et fait patienter l'invité dans l'entrée mais dès que ce dernier s'exprime, Hakan reconnaît sa voix et elle se précipite à sa rencontre.

– Holmes ? s'étonne-t-elle.

– Bonsoir Selens, salue Mycroft sans sourciller. Ton père est là ? Je dois lui parler.

– Écoute, menace ma cousine, t'es bien sympa, mais viens pas te mêler de mes affaires. Tu risques de me mettre dans la merde.

C'est de ses sorties qu'elle parle ? Elle semble cacher quelque chose...

– Le monde ne tourne pas autour de toi, rétorque Mycroft avec un air amusé.

– Tu es pile à l'heure Mycroft, je m'interpose à l'étonnement de tous.

Je m'avance vers lui, droite, tentant de garder bonne contenance. J'ai envie de flancher, mais je ne le ferai pas : je suis bien plus forte que cela.

– Comme convenu, déclare le plus âgé des Holmes. Toujours d'accord ?

– Plus que jamais. Il est temps.

Je regarde ma cousine avec le plus de compassion possible, elle semble perdue. Je la comprends, je le serais aussi. Alors, j'ajoute avec une voix qui se veut rassurante :

– Je fais ça pour toi aussi, Hak.

– Quelqu'un peut m'expliquer ? demande soudainement mon oncle qui est arrivé dans la pièce.

– Monsieur Selens,prend la parole Mycroft en allant droit au but. Je suis Mycroft Holmes et je dois vous parler urgemment.

– Je sais qui vous êtes, tranche l'homme. J'ai bien connu votre père... à Greenfield.

– Auriez-vous une minute à m'accorder ? Je sais que vous ne vous entendiez pas vraiment, mon père et vous, mais...

– Arrêtons de tergiverser, dit Lawrence. Montons dans mon bureau.

– Oncle Lawrence, je m'intercale dans l'échange. Je dois venir aussi.

– C'est quoi cette mascarade ? s'emporte Hakan. Elizabeth, j'exige que tu m'expliques !

– Plus tard, Hak, je la réconforte. Plus tard.

Sans pouvoir lui en dire plus, nous empruntons l'escalier pour accéder au bureau de mon oncle, au deuxième étage. Je suis morte de peur, je sais que je prends des risques, que mon sacrifice est déraisonnable. J'étais encore sur le point de refuser avant que je ne constate qu'Hakan pouvait s'améliorer si je suivais le plan de Mycroft. Après tout, ce n'est que provisoire, j'en suis certaine. On est toujours gagnant dans tout ce qu'on entreprend dans cette famille.

*
Oui je vous laisse avec ça pour aujourd'hui.
Patience ;)

Les Amis ProscritsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant