20. Hak-almie

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Sherlock

Encore un jour d'enfer dans ce campus de misère. Depuis quelques jours, j'ai l'impression d'avoir perdu le fil de ma propre vie, d'en être devenu le spectateur. Entre John qui s'en va à la fin de l'année scolaire, Hakan qui ne veut même plus m'adresser le moindre mot... J'ai l'impression que j'éloigne tout le monde.

Alors que je courais après la solitude comme un chien après une balle, je me rends compte à quel point je regrette d'être loin de ceux qui me sont chers, à quel point je me suis attaché à ces personnes. Bien plus que je ne l'aurais souhaité. J'ai changé. À cause d'eux ? Grâce à eux ? J'ignore ce que je dois en penser. En tout cas, je ne suis plus le même garçon.

J'y réfléchissais justement quand une main me happe par le bras au hasard d'un couloir pour me plaquer au mur. Le temps de fermer les yeux pour supporter le choc (certes, léger) de mon dos sur la paroi et je les rouvre pour apercevoir deux yeux gris qui me transpercent.

– Hakan ? dis-je incrédule.

Elle ouvre la bouche pour me répondre, mais aucun son n'en sort. Elle serre les mains autour de mes épaules pour me maintenir là, à sa merci, comme pour me faire comprendre de patienter.

– Ne te fatigue pas, je l'aide. Je sais déjà.

– Non, réplique-t-elle. Je dois le dire.

– C'est bon, Hakan, j'insiste.

– Sherlock, tu comprends pas. C'est important pour moi de reconnaître mes torts et mes échecs, sinon j'avance pas.

– Si, je comprends. Mais ton premier cours de la journée ne va pas tarder et tu vas arriver en retard si je t'attends.

– Tu t'en fiches, des cours.

Elle me jette un regard suspicieux auquel je ne résiste pas plus d'une seconde.

– Mais toi non, je réponds tout bas.

– Bon, d'accord, cède-t-elle.

– Tu as une heure de pause après cela, normalement. On se retrouvera dehors pour reparler de tout ça.

– Mais tu as dit...

– Comme tu l'as si bien souligné, je l'interromps, je me moque de mes propres cours.

Cette proposition ne me ressemble pas. Je ne suis pas si prévenant, ou alors au terme d'un sacrifice quasi-total de ma fierté. Les doigts de Hakan sont descendus progressivement jusqu'à rencontrer mes mains. Pour la rassurer, je prends les siennes pour les réchauffer, comme il m'est déjà arrivé de le faire à plusieurs reprises.

– À tout à l'heure, murmure-t-elle.

Elle me lâche, ou plutôt, je la relâche... Elle s'éloigne en traînant la patte, mais sa démarche est différente des moments où la douleur l'assaille. Non, elle est fatiguée, épuisée même.

*

Je suis déjà sur un des bancs du parc du campus quand Hakan me rejoint avec deux cafés. Elle me tend un des deux gobelets en s'asseyant.

– Je me suis dit que ça ne se faisait pas de se servir sans rien te rapporter, m'explique-t-elle. Alors voilà, noir et sucré. Ton frère m'a confirmé que tu le buvais ainsi.

– Il te parle beaucoup trop de moi.

– Il pense que je suis amoureuse de toi.

– Et alors, le verdict ?

– Quel verdict ?

– C'est vrai ou pas ?

– Franchement, j'en sais rien. Je n'ai pas envie de régler la question pour l'instant. Ce que je sais, c'est que je ne peux pas me passer de toi. Depuis qu'on s'est disputé, tu n'imagines pas à quel point tout ce qui m'entoure me semble...

Les Amis ProscritsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant