10. Hak-cepter

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Mycroft

Hakan pose brusquement son sac sur le bureau, elle n'a pas entrepris de me frapper avec, je trouve que c'est plutôt une bonne nouvelle. Je ne la salue pas de suite, je préfère attendre qu'elle soit assise pour nous quereller confortablement.

– C'est quoi ce bordel avec Lizzy ? feule-t-elle à mon égard.

– Ce ne sont pas des félicitations que tu devrais me présenter ? dis-je dans le plus grand calme.

– Tu as proposé à mon père de te fiancer avec ma cousine ! s'emporte la jeune fille. Tu te fiches complètement d'elle, tu la connais depuis quoi, dix jours ? Et encore tu l'as à peine croisée dans la voiture à l'occasion !

Elle s'arrête pour reprendre son souffle, sa colère a enflé en l'espace d'un week-end, ou alors elle a réussi à ne rien laisser transparaître jusqu'à maintenant.

– Je ne me fiche pas d'elle, je réponds simplement.

– Vous vous êtes adressé la parole avant vendredi soir au moins ? s'impatiente ma camarade.

– Je suis discret sur mes relations, Selens, je la taquine.

– Arrête de te foutre de moi, Holmes, crache-t-elle. Tu ne l'aimes pas. Pas plus que toutes les saintes-ni-touche avec qui tu sors.

– Tu insinues que ta cousine est une...

– La ferme ! Si tu savais tout ce qui me vient en tête quand je vois ta sale petite tête de fouine égrotante, tu n'imagines pas !

– Mais ça a calmé ton père, je me trompe ?

Enfin, elle s'apaise et se décrispe. Hakan est loin d'être idiote, elle sait parfaitement que ce n'était qu'une ruse de ma part. Cette fausse relation n'a dupé personne hormis le patriarche de cette famille. D'un coup, elle sort deux thermos de son sac. Le premier, je le reconnaîtrai entre mille : elle y stocke son earl grey pour la journée. L'autre, aux rayures si criardes qu'elles me font mal aux yeux, est inconnu au bataillon. Pourtant, elle en sert le contenu dans le couvercle et me le tend. Vous voyez pourquoi il faut se méfier de ses sautes d'humeur ?

– Sérum de vérité ? je demande suspicieux.

– Presque, me répond-t-elle laconiquement. Café.

– Pourquoi ?

– Tu as un plan, je ne sais pas quoi, mais tu as quelque chose derrière la tête. Il faut que je sache ! Je ne demande même pas de participer ou d'enrayer ce que tu es en train de manigancer. Je veux simplement savoir.

– Je ne sais pas si on a le temps pour...

Un étudiant vient prévenir les quelques élèves de l'auditoire que le cours que nous attendions, si sagement, était annulé. C'est la fatalité qui se joue de moi, n'est-ce pas ? En tout cas, cette annonce tire un sourire à l'aînée des Selens.

– Maintenant on a le temps, lance-t-elle avec un ton narquois. Raconte-moi tout.

– C'est vrai, je lui concède. D'autant plus que cela te concerne. Nous sortons ? Il ne pleut pas et j'aimerai en profiter !

Nous passons par la sortie de secours à l'arrière de l'auditoire qui débouche directement sur une cour intérieure au campus. Nous bloquons rapidement la porte avec une cale pour pouvoir rentrer ensuite. C'est un truc que la plupart des étudiants font ici pour éviter de faire le tour du bâtiment quand ils sortent en griller une rapidement. Hakan prend le thermos de café, croyant peut-être que cela m'amadouerait une fois dehors. Comme si j'avais besoin de cela pour m'expliquer.

Machinalement, je sors une cigarette de ma réserve personnelle, une des rares que je possède encore et dont Greenfield me prive. Hakan ne se fait pas prier pour l'accepter. Elle semble très adroite avec ce poison, elle a dû commencer plus tôt que je ne l'imaginais. Pour échapper au stress de son géniteur, je présume.

– Ces fiançailles sont passagères, je commence. Ce n'est qu'une façon pour toi de faire patienter Lawrence en attendant que tu t'affranchisses de son autorité mal placée. Tu vas y arriver, on sent tous que c'est proche...

Elle me tend la cigarette pour répondre à son tour.

– Je vois pas en quoi ça m'aide, râle Selens.

– Je ne peux pas t'expliquer en détails, cela surmonte ta propre compréhension.

– On croirait entendre ton frère, me lance-t-elle.

– Justement, parlons-en ! Mon frère te transforme. Je ne sais pas comment évoluera votre relation, mais lui aussi devient un peu moins... difficile. Pour faire court, que vous vous côtoyiez est une bonne chose pour lui comme pour toi. Il fallait juste trouver un moyen pour que ton père fasse confiance à notre famille.

– Attends, intervient Hakan. C'est pas à mes sorties qu'il s'oppose, c'est à vous en particulier ? Mais pourquoi ?

– Je n'ai pas la réponse, mais mon père et le tien étaient ensemble à Greenfield. Ils ont dû se brouiller là-bas. Ici, il fallait que je trouve une façon de gagner la confiance de Lawrence Selens.

– Je commence à comprendre, réfléchit ma camarade à voix haute, Sauf une chose...

– Laquelle ? je m'étonne.

– Pourquoi tu fais tout ça ? demande-t-elle.

– Pas pour toi, je lui mens. Je suis pas du genre à rendre service gratuitement.

– Alors pourquoi ? insiste-t-elle.

– Tu apaises Sherlock, je prétends. Alors autant vous aider tout les deux dans ce sens. Ta cousine accepte de me prêter sa main le temps que tu te rebelles un peu et puis... Nous verrons. Je ne me joue pas d'elle si c'est ce que tu penses.

– Tu sais qu'elle voit déjà quelqu'un, me dit-elle soudain. On ne l'a jamais vu, elle refuse de nous en parler, mais on le sait.

– Quand elle sera prête, elle en parlera probablement. L'influence de votre famille doit sans doute la contrarier.

– Oui, admet Hakan dans un soupir. C'est toujours un problème, ça.

– Alors reprends les rênes ! je l'encourage. Tu peux changer la situation.

– Je pensais m'y consacrer après mes études, se plaint-elle. Vous me forcez à me décider plus tôt... Je n'ai pas encore la force nécessaire, mais je fais au plus vite, c'est promis.

Je bois un peu du café que la jeune fille avait ramené à mon intention. En me regardant faire, celle-ci grimace.

– Je sais pas comment tu peux boire cette chose.

– La force de l'habitude, je lui réponds. Toi, tu en bois si peu...

– Je préfère le thé, décrète-t-elle.

– Je sais. Bon, on rentre ? Tu as froid.

Elle acquiesce à ma demande, mais au moment où j'allais passer la porte, elle me retient d'une poigne plus forte que je ne le pensais.

– Merci Mycroft, souffle-t-elle. Ça représente beaucoup pour moi.

– Je te laisse une chance de faire bouger les choses, Hakan, je la sermonne une dernière fois. Fais juste en sorte que je ne le regrette pas.

D'un commun accord, nous retournons dans la chaleur de l'auditoire. Une fois à nos places, Hakan me lance une pique, à laquelle je ne peux que me sentir embarrassé, malgré mon talent inné pour le lui cacher.

– Hé, mais tu m'as appelée Hakan à l'instant ! Pas trop tôt !

– Toi aussi tu as utilisé mon prénom juste avant, je te signale. Et puis, j'ajoute d'un ton enjoué, On est de la même famille maintenant !

Elle soupire à ma remarque et continue de me chercher durant le reste de notre temps libre. Elle est horripilante, mais on finit tout de même par s'attacher... si on gratte bien la surface.

Les Amis ProscritsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant