Chapitre 34 : Domaine de Sarhol. (2/4)

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Au contraire de sa maîtresse, Öta gardait les yeux fermés, au bord de la panique, tétanisé entre les solides bras qui le maintenaient. Elle sourit en le voyant. Il s'habituerait. Surtout s'il arrivait à se faire un nom dans le métier. Les gems de Draconia en Honëga ou de la Tour au Lumensten collaboraient parfois avec les guerriers libres.

Le voyage dura longtemps. Ils survolaient les plaines de Chabawck vers le nord. Les savanes s'étalaient tout autour d'eux, irriguées par les fleuves qui les parcouraient, en provenance des montagnes. La totalité de la multitude de torrents qui les dévalaient se réunissaient en une large rivière, l'Onus. Au début, il coulait vers le sud, avant d'obliquer vers l'ouest, remontant même un peu vers le nord avant de devenir le principal affluent de l'Unster, sur sa rive gauche. Ces terres étaient, par le passé, traversées par des troupeaux d'herbivores. Les feythas avaient mis fin à tout ça. Quatre-vingts ans plus tôt, les peuples unis sous la même bannière y avaient affronté les tyrans et leurs alliés. Ici et dans une autre plaine loin à l'est. Aujourd'hui, en voyant cet endroit désert, tranquille, il était difficile d'imaginer la boucherie qui s'y était déroulée. Il fallait s'y déplacer à pied pour voir les squelettes, dont certains crevaient encore la couche de terre, pour comprendre toute l'horreur qu'avaient affrontée les sept peuples.

Le soir, ils n'avaient parcouru que la moitié du chemin les séparant des montagnes. Ils se posèrent dans le coude d'une rivière. Ils mangèrent un en-cas rapide puis repartirent. En pleine nuit, le sol était invisible. Il n'y avait rien à voir. Elle ferma les yeux et s'endormit, bercée par le vol.

Au petit matin, ils volaient à travers les montagnes qui traversaient les deux tiers du continent d'est en ouest. Les gems naviguaient entre les pics, empruntant les cols enneigés, survolant les glaciers. Au passage d'un col, elle découvrit au loin à l'horizon une grande plaine glacée. Les grandes plaines du nord. C'était la première fois que Saalyn la voyait. Elle n'y était jamais allée. Ni d'ailleurs personne de sa connaissance. Même Wotan ne s'en était jamais approché et pourtant il était bien plus vieux qu'elle. Elles étaient trop froides, les stoltzt pouvaient y vivre mais au prix d'une dépense de ressources et d'énergie considérable. À part la tribu de Ferleren qui s'était installée au débouché d'un col, elles étaient restées désertes jusqu'à l'arrivée des nouveaux peuples. Les humains et les edorians y avaient créé quelques villages. Ces plaines étaient restées intactes pendant l'occupation feythas, le gibier abondait, les rivières étaient poissonneuses, les forêts de conifères étaient touffues. Ils commerçaient avec le reste du monde. Mais les difficultés du voyage rendaient les échanges difficiles et rares.

Une fois passés les plus hauts sommets, la formation s'orienta à l'est, le long de la chaîne. C'est l'éloignement qui avait protégé ce gems de la fureur destructrice des feythas. Ils volèrent toute la journée du lendemain et celle du surlendemain jusqu'au soir. Enfin la destination devint visible. C'était comme un point de lumière qui apparaissait sur le flanc d'un pic dans le soleil couchant. Au fur et à mesure, ce trou s'agrandit au point de se diviser. Il y avait une habitation creusée dans les profondeurs de la montagne. Les lumières correspondaient aux fenêtres.

Le groupe se posa sur une grande terrasse orientée au nord à moins d'une centaine de longes du sommet. Les vents glacials la balayaient. Malgré toutes les épaisseurs de tissu qui la couvraient, Saalyn était frigorifiée. C'est avec joie qu'elle passa le porche qui menait à l'intérieur de la forteresse. L'endroit était surchauffé pour s'adapter à la physiologie des gems. Bientôt elle eut trop chaud. Un arrêt dans l'antichambre leur donna l'occasion de se déshabiller. Elle ne conserva que sa tunique et son pantalon. Un moment, elle envisagea de les enlever aussi. La nudité ne la gênait pas. Mais le gems risquait de prendre ça pour une provocation. Elle préféra garder quelque chose sur elle, ne serait-ce que pour une question de survie. Dans les vêtements qu'elle avait enlevés, elle choisit la tunique la plus longue et la plus fine. Elle pouvait passer pour une robe courte. Elle l'enfila à la place de ce qu'elle portait sur elle. Sa ceinture lui permit d'obtenir l'effet qu'elle cherchait. Elle était décente, suffisamment habillée pour ne pas vexer un gems chatouilleux, mais pas trop pour ne pas mourir de chaud. Öta, encore plus mal à l'aise qu'elle, l'imita. Cela fit bizarre à Saalyn, cela faisait plus d'un an, depuis qu'elle avait été sauvée des griffes de Jergo, qu'elle n'avait pas montré ses jambes en public. À l'époque, elles étaient entaillées de multiples plaies, brûlures, écorchures ; elle n'avait pas trop envie qu'elles soient vues par d'autres personnes. Depuis la peau s'était réparée, elles avaient retrouvé leur galbe. Mentalement, elle se remémora celles de Deirane et se dit qu'elle n'avait pas trop à rougir de la comparaison. Le regard que lui jeta son disciple la conforta dans cette idée.

L'esclave (La malédiction des joyaux - Livre 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant