Il était temps. Saalyn venait tout juste de poser son sac par terre, au pied du lit lorsque l'orage éclata. Le dernier monsihon de leur chevauchée s'était fait dans les roulements du tonnerre, elle craignait de finir leur étape sous la pluie. Elle avait les vêtements étanches nécessaires dans ses bagages, sorte de houppelande en tissu ciré qui couvrait tout le corps, mais elle préférait éviter d'avoir besoin de s'en servir. Les chaussons que l'on enfilait aux chevaux pour les protéger des flaques rendaient leur équilibre précaire, ils ne pouvaient plus être montés. Ils auraient fini à pied, leur équipage derrière eux. Sans compter toutes les précautions, une fois à l'abri, pour retirer leur équipement sans tout contaminer autour d'eux, et en particulier eux-mêmes, avec l'eau empoisonnée.
Le problème ne se posa pas, puisqu'ils arrivèrent à la taverne en gagnant la pluie de vitesse. La salle était bondée. Beaucoup de voyageurs, à l'annonce du mauvais temps, avaient retardé leur départ pour éviter de se faire surprendre. Ils étaient à la frontière du Chabawck, à la limite de la zone d'influence entre l'Yrian et la Nayt. Et une patrouille de chacune de ces puissances avait trouvé refuge au même endroit. Ils s'étaient regroupés chacun à un bout de la salle, s'ignorant ostensiblement. Mais Saalyn savait d'expérience que dès que l'alcool aurait suffisamment coulé, ils rouleraient ensemble sous les tables et c'est bras dessus, bras dessous qu'ils brailleraient leurs chansons paillardes. Elle ne pouvait pas leur en vouloir. Elle avait participé plus qu'à son tour à ce genre de beuverie. Les pluies tombaient parfois sans discontinuer pendant une douzaine et il n'y avait rien à faire dans ce genre d'établissement. Elle se souvenait même d'une fois qui aurait fait rougir de honte son jeune disciple. Elle s'était réveillée nue, dans un lit inconnu, enlacé par des bras inconnus, en compagnie de trois autres personnes, dont une femme. Et trois jours de sa vie s'étaient totalement effacés de sa mémoire. Ce n'était pas la seule chose qu'elle avait perdue cette fois-là, elle n'avait jamais pu retrouver ses vêtements et c'est enveloppée d'un drap qu'elle avait dû traverser la cour pour rejoindre sa propre chambre. Heureusement, ses bottes de cheval étaient bien rangées au pied de son lit. Mais elle avait dû faire une croix sur une paire de bottines en cuir blanc, à jamais disparue, qu'elle avait payée très cher à Sernos à peine deux mois plus tôt. C'est ça, qu'elle regrettait le plus. Ça et le fait qu'elle n'était jamais arrivée à se remémorer le nom du bel edorian qui la tenait dans ses bras à son réveil, ni ce qu'elle avait pu faire avec lui. Elle se souvenait juste qu'elle s'y trouvait bien. C'était d'autant plus vexant que lors de leurs rencontres ultérieures, lui se souvenait parfaitement d'elle.
Elle réserva une chambre. Il n'en restait plus que sous les toits. Elle aurait préféré interposer un étage de plus entre elle et le ciel, mais aussi près d'Oscard, elle était sûre qu'il n'y aurait pas de fuite. Qu'un client tombe malade à cause d'une tuile cassée, cela risquait d'être préjudiciable à la santé du gérant. Le petit royaume ne rigolait pas avec la loi. Hester calé sur la hanche, Öta à ses côtés, elle monta la visiter.
L'endroit semblait sain. Elle ne remarqua aucune trace d'humidité dans le toit, aucune auréole sur le sol, aucune odeur de moisi, ni rien d'autre qui aurait pu témoigner d'une entrée d'eau.
— C'est bon, je la prends, dit-elle.
Elle donna une pièce en os à la jeune fille qui les avait guidés jusqu'ici. Il était temps. La pluie qui couvait depuis plusieurs monsihons creva, tambourinant sur le toit. Heureusement qu'ils étaient à l'abri. Aussi loin à l'est, à moins d'une centaine de longes du désert empoisonné, les pluies de feu étaient bien plus dangereuses qu'en Yrian.
Saalyn posa Hester sur le tapis où il resta assis. Elle s'assit ensuite sur le lit. Elle enleva ses bottes de cheval. Elle fit jouer les orteils libérés de leur carcan avec un bien-être évident.
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L'esclave (La malédiction des joyaux - Livre 2)
FantasySoixante ans se sont écoulés depuis la guerre qui a mis fin au règne des tyrans. Une civilisation a pu renaître sur les ruines, malgré la subsistance de poches de chaos. Mais la plus grande partie du continent reste mortelle. Vivant en limite de la...