Le retour à la maison eut lieu trois jours plus tard. L'humeur folâtre de la paysanne durait encore, sans que Dresil pût dire s'il était dû à l'opéra, dont elle n'arrêtait pas de chantonner les airs les plus entraînants, ou à la nuit qui avait suivi. Les nuits plutôt, puisqu'ils avaient fait l'amour tous les soirs. Et même le chargement de fumier qui remplissait la charrette pour le retour n'arriva pas à assombrir Deirane.
La jeune fille aussi était indécise sur ce point. Mais contrairement à son amant, elle ne se posait pas la question. En tout cas, l'opéra avait représenté une expérience unique, un plaisir qu'elle voulait renouveler le plus souvent possible. Karghezo en passait cinq par an, elle essaierait de revenir pour le suivant. Il y en avait peut-être également à Sernos. Une ville aussi magnifique, la plus grande du monde, disait-on, devait certainement en avoir un.
Son père s'était toujours montré généreux envers les siens. Cependant, sa générosité se partageait entre sa femme et ses quatre enfants. Il n'avait jamais offert une visite à l'opéra d'Ortuin. Elle ne savait pas si Ortuin en possédait un d'ailleurs. La ville était récente, elle avait moins d'une dizaine d'années d'existence.
Elle voulait voir Saalyn. Elle avait promis de lui rendre visite. Elle savait que la guerrière libre exerçait un métier qui la tenait loin de chez elle la plupart du temps. Elle se doutait que les occasions de se rencontrer seraient rares. Mais elle désirait partager cette expérience avec son amie. Une musicienne telle que la stoltzin comprendrait certainement ce que Deirane ressentait.
Au moment du départ, Salmon les attendait dans le hangar où était parqué leur véhicule. Il aidait Dresil à charger le coffre qui contenait leurs affaires personnelles.
— Je me demande ce que tu vas faire avec tout ce fumier.
— Le mettre dans les champs.
— Tes chevaux ne font pas de crottes ?
— Je n'en ai que deux. C'est insuffisant. Et il faut bien rendre à la terre ce qu'on lui prend. Sinon elle meurt et devient infertile.
— Je veux bien te croire, après tout c'est toi le spécialiste.
Dresil aida sa compagne à s'installer sur le banc.
— Tu rentres directement chez toi ? demanda Salmon.
— On doit passer chez ma sœur récupérer le fils de Deirane.
— Transmets-lui mes hommages, lança-t-il à la charrette qui s'éloignait déjà.
Dresil sourit en entendant ces dernières paroles. Une bonne part des hommes de la région connaissait intimement Nëppë. Il était difficile de croire, en la voyant sage et posée, que quelques mois plus tôt elle sautait de lit en lit, multipliant les rencontres, ne gardant un amant rarement plus que quelques douzains. D'ailleurs, il ne savait pas si sa relation actuelle était destinée à durer ou juste une aventure de plus. Il espérait qu'elle se révélerait stable. Il avait son idée sur l'origine de son comportement. De toute la famille, elle était la plus proche de leur jeune sœur. Elle avait très mal supporté sa disparition. C'est peu de temps après qu'elle avait commencé à coucher à droite et à gauche. Tout le contraire de Dresil qui s'était renfermé sur lui-même. Qu'elle se fût mise en ménage pouvait signifier que la blessure avait enfin guéri.
Quand, deux jours plus tard, ils repassèrent dans la partie raisonnablement saine de la forêt, Deirane fut soulagée. Elle avait fini par s'habituer à l'environnement stressant de Karghezo et du plateau oriental de l'Yrian. Malgré tout, la pression restait là, et sa disparition lui ôta un poids. Les arbres semblaient plus accueillants et la vie manifestait sa présence autour d'elle, c'était bien autre chose que ce milieu mort où les rares êtres qui parvenaient à s'accrocher n'étaient pas très ragoûtants.
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L'esclave (La malédiction des joyaux - Livre 2)
FantasíaSoixante ans se sont écoulés depuis la guerre qui a mis fin au règne des tyrans. Une civilisation a pu renaître sur les ruines, malgré la subsistance de poches de chaos. Mais la plus grande partie du continent reste mortelle. Vivant en limite de la...