Chapitre 33: Lire pour comprendre

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—Tu es affreuse aujourd'hui Maya !

—Non, je veux dire tu l'es tous les jours mais là...

—Tu t'es trop lâchée sur les sucreries ou les hamburgers, peu importe.

—En tout cas maintenant c'est toi qui ressemble à un hamburger !

—Sérieusement tu n'as pas honte ?

—Tu as perdu ta langue ?

—Non, elle l'a surement mangée aussi !

Leurs rires se mélangent alors que j'entends des mains se taper entre elles, signe qu'ils se sentent fier de ça.

Le voilà mon chemin de l'entrée de l'école à mon casier, c'est toujours comme ça, Damon et ses copains derrière moi, me suivant comme mon ombre en me balançant des horreurs. J'ai compris avec le temps que la manière la plus intelligente de réagir c'est de ne rien faire, les ignorer suffit. Normalement ils devraient se lasser de ma non-réaction mais ils persistent encore, comme des sangsues.

Une fois devant mon casier, j'inscris mon code et l'ouvre alors qu'un bout de papier tombe à mes pieds. Tiens donc ! Ont-ils compris que je n'avais plus de téléphone pour recevoir leurs menaces ? Ont-ils décider de changer de méthode ? De la faire à l'ancienne ? Ils auraient pu envoyer un pigeon voyageur tant qu'on y est.

Je prends cette feuille en main et l'ouvre tout de même.

« Quand je te vois j'ai envie de m'arracher les yeux. Je préfère devenir aveugle plutôt que de te regarder. S'il te plaît, rends-nous service, dégage ! »

Un peu plus bas il y a d'autres phrases que je continue bêtement de lire.

« Tu ne sers à rien, tu es grosse, moche et tu n'as pas de vie, alors pourquoi ne pas en finir ? »

« Tu n'es pas normale Boulette, il n'y a pas de place pour toi ici. »

« Tu ne trouveras jamais quelqu'un qui veuille de toi, tu es pourrie, tu n'es bonne à rien, tu n'iras nulle part dans la vie. »

« Origine ? Aucune. Nom de Famille ? Aucun. Parents ? Aucun. Tu n'as pas encore compris ? Tu n'es personne ! Tu es invisible, même une fourmi à plus d'importance que toi. »

« Même tes parents ont préféré crever plutôt que de t'élever, on les comprend d'ailleurs, qui voudrait bien de toi ?! »

De l'eau vient mouiller le papier, mes larmes se mettent à couler sans retenue. J'écrase cette feuille dans mes mains pour en faire une boulette et pour passer mes nerfs dessus. Ça fait tellement mal...

Je ferme les yeux, laissant encore quelques larmes s'échapper puis appuie fermement mes paupières comme pour me faire disparaître, moi ou la douleur, peu importe. Mon cœur, à cet instant, menace de tomber à mes pieds tellement il est lourd alors que mes jambes, quant à elles, menacent de s'écrouler. Je renifle sans grâce puis me pince les lèvres, je relève la tête, essuie mon visage mouillé et respire un bon coup.

J'enfonce le papier dans mon sac et continue de faire ce que j'ai à faire comme si rien ne s'était passé, comme si mon cœur ne s'était pas encore brisé, comme si une partie de moi ne s'était pas encore envolée, comme si l'envie de mourir n'avait pas davantage persistée.

*

—Sérieusement ?

Je viens à peine de poser mon derrière sur cette chaise de la cantine que Zack entre dans le réfectoire et vient directement vers moi. Je ne me gêne pas pour le dévisager, que nous vaut cette entrée fracassante ? Le peu de personnes ici s'étaient retournées vers lui et l'ont suivi du regard pendant toute sa trajectoire, quant à lui il a l'air soucieux et, je ne sais pas, dans l'incompréhension peut-être.

Un bouquin entre ses mains, les sourcils froncés et le regard ancré dans le mien, il s'installe non à côté mais en face de moi, laissant les autres élèves interloqués.

—Je ne comprends pas !

Il retourne furtivement le livre qu'il avait dans ses mains et le plante à quelques millimètres de mon visage ce qui me vaut un mouvement de recul.

—Qu'est-ce que tu ne comprends pas ?

Je repousse le livre vers lui pour qu'il me montre calmement, à la place de ça, il l'empoigne fermement et recherche ce prétendu passage qu'il ne comprend pas.

—La fin !

Honnêtement j'hésitais ; d'un côté je me disais qu'il allait peut-être la comprendre mais de l'autre je savais que non parce qu'il ne connait pas l'amitié, la vrai. J'aurais aimé que ce livre lui ouvre les yeux tout seul mais apparemment je vais devoir le faire moi-même.

—Pourquoi il l'a tué ?! C'est n'importe quoi !

Je ne peux retenir un petit rire tellement la manière dont il s'emporte est marrante. Je suis contente de voir qu'un livre lui fait cet effet-là, ça veut dire qu'il l'a vraiment lu et pas juste entre les lignes.

—Il préférait simplement le voir mourir avec le sourire aux lèvres plutôt que vivre dans la souffrance.

Ses sourcils se froncent encore tandis qu'il commence à se mordiller les lèvres, il y réfléchit surement et ça a l'air de bien le travailler. Est-ce que mon plan fonctionne ? Est-ce que les livres vont lui ouvrir les yeux ? Un fin espoir me traverse mais je me contente de l'ignorer pour ne pas finir déçue.

Il souffle, baisse les yeux et plonge sa tête dans ses bras croisés sur la table.

—Je n'ai pas envie que tu vives dans la souffrance.

Je ne pus cacher mon étonnement, j'observe la salle entière, attendant quelques instants avant de lui répondre. Ce qu'il ne sait pas, c'est que je vis déjà dans la souffrance, et ce depuis quelques temps déjà.

—Moi non plus je ne veux pas vivre dans la souffrance.

—Alors laisse-moi t'aider, la vie est plus facile quand on a quelqu'un sur qui compter, quelqu'un pour nous aider à porter nos poids et même enlever nos chaînes.

Ah oui, le livre a vraiment fait son effet... Je ne connais pas réellement Zack, je ne sais pas s'il est sincère avec moi ou si c'est encore un sale tour de Damon. Quand je l'observe, ça a pourtant l'air naturel, alors je suis perdue.

—Je suis prisonnière Zack, ma cage s'appelle Damon et tu ne fais pas le poids contre lui surtout si tu es sous ses ordres.

—Je...Je sais...Mais, dans l'amitié il ne faut pas être égoïste, il faut faire passer le mal de l'autre avant le nôtre.

Il joue avec une page du livre et mord ses lèvres, signe qu'il est nerveux, son regard bouge beaucoup de gauche à droite et il ne me regarde pas, signe qu'il appréhende ma réponse. C'est très simple pourtant, je n'en ai pas, je me contente juste de souffler. Oui, je n'ai pas de répartie pour cette fois.

—Alors, le prochain livre ?

Il a lu celui-ci en quelques jours seulement et il en réclame déjà un autre, il va devenir accro comme moi.

—Influence et manipulation de Robert Cialdini.

Espérons qu'avec celui-là, il ouvre les yeux sur sa relation avec Damon...

—Tu lis quoi toi ?

Je prends mon sac et en sors mon livre sauf que la boulette de papier de ce matin s'échappe en même temps. Je voulais me précipiter pour la reprendre mais Zack a sûrement vu mon regard effrayé puisqu'il l'attrape avant moi. Il la déplie et commence à lire alors que ses sourcils se froncent de plus en plus au fur et à mesure des phrases, tout comme ses poings qui se serrent autour de la feuille. Au final, il en fait une boulette et tape son poing sur la table, amenant tous les regards sur nous, puis il se lève furtivement et sort du réfectoire en colère.

Qu'est-ce qui lui prend ?

MAYAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant