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Arès se retourna vers la silhouette adossée au muret de sa maison. Une silhouette dont la généreuse poitrine était à moitié éclairée par la lune.

Il déglutit.

Paulla s'était embellie avec le temps. Elle s'approcha d'Arès en faisant miroiter ses cheveux en cascades et en ondulant son bassin avec une souplesse qu'il lui connaissait depuis toujours. À peine adolescents, ils étaient devenus amants quand bien même Arès ne lui avait jamais promis le mariage.

Il serra les poings, soudain furieux. Que faisait cette fille sans vertu dehors, seule, à une heure pareille ?

- Rentre chez toi, dit-il d'un ton glacial.

Paulla secoua la tête en riant. Il ne supporta pas sa voix et pressa sa paume contre sa bouche.

- Ferme-la. Je suis fiancé, à présent. Je n'ai plus rien à faire avec toi.

Paulla retira sa main, dont elle mêla les doigts aux siens.

- Je me suis mariée, l'informa Paulla. Mais mon mari est un vieux crapaud. Laid et stupide. Je ne suis ni vierge ni fertile, d'où son courroux. Alors, quand il me bat, je suis obligée de fuir.

Elle pressa son buste contre celui d'Arès, dont elle inhala le parfum muscé.

- Tu m'avais manqué, répéta t-elle en baissant ses paupières et en tendant les lèvres.

Arès la repoussa et prit une voix implacable.

- Une promesse est une promesse. Je vais me marier.

Paulla éclata d'un rire qui, une nouvelle fois, agaça profondément Arès.

- Tu parles de cette folle qui essayait de fuir dès la première occasion ? Pauvres Cornix. Leur fille est possédée. Ce n'est pas cette furie qui pourra te satisfaire.

- Je ne prétends pas cela, s'irrita Arès. C'est une affaire de famille.

- As-tu pensé à moi, pendant toutes ces années ? demanda t-elle.

- Très peu. Récemment, pas du tout.

Paulla eut l'air sincèrement blessée.

- Il y a eu d'autres femmes ?

- Elles appartiennent au passé et cela ne te concerne pas. Rentre chez toi.

Mais Paulla reprit la main d'Arès.

- Tu es le seul, depuis toujours ! s'exclama t-elle. J'ai pensé à toi chaque jour en attendant ton retour. Je voulais...

- J'ai dit, rentre chez toi !

Il la repoussa encore, suffisamment pour la faire tituber. Puis il pénétra dans la maison en claquant la porte. Tant pis pour Paulla. Il n'avait ni de temps, ni d'envie à consacrer à l'amour. Seule la famille comptait.

- On a aperçu Paulla dehors, avant que mère n'aille se coucher, lança Augustus. Elle passe son temps à dire que vous étiez amoureux à l'époque.

- N'écoute pas ce qu'elle raconte.

Arès remarqua la présence de deux serviteurs, l'un étant aussi roux que l'autre était rousse.

- Ces deux-là travaillent pour nous ? s'enquit-il.

Il vit qu'Augustus était sur la réserve.

- Oui. Maximus et Maia sont nos derniers esclaves. Nous avons dû vendre les autres.

Avant qu'il ne gâche tout, Arès avait à son service une dizaine d'esclaves.

- Vous êtes jumeaux ? leur demanda Arès.

- En effet, répondit le grand roux.

Il était grand et bâti comme un rocher. En le regardant, Arès songea aux gladiateurs qu'il avait affronté plus tôt.

La rousse, Maia, était d'une beauté à couper le souffle. Ses boucles de feu et son visage constellé de tâches de son étaient dignes d'une déesse. Arès ne se laissa pas émouvoir pour autant. Entre Paulla l'infidèle qui lui courait après et Laure la frapadingue qui allait devenir sa femme, il avait bien assez à faire.

Arès prit place sur un divan. Il vit que le regard de son jeune frère restait obstinément posé sur la tête bouclée de Maia. La tendresse qu'il y lisait ne lui plaisait guère. Un patricien de son âge ne devait surtout pas s'amouracher d'une fille, et encore moins d'une esclave.

- Bientôt, nous emménagerons dans la demeure que Flavius a forgé pour sa fille, indiqua t-il. Il faudra abandonner cet endroit.

- Nous emmènerons nos esclaves, s'empressa de dire Augustus.

Maximus remercia son maître d'un signe de tête et, avec sa sœur, ils quittèrent le salon.

- Méfie-toi, dit Arès.

- De qui ?

- De toi-même, Augustus. Tu ne peux épouser une esclave.

Augustus s'empourpra violemment et se releva.

- Tu te trompes complètement, bafouilla t-il. Je vais me coucher. Bonne nuit, mon frère.

Comme lorsqu'il avait cinq ans, Augustus ne savait pas mentir.

Arès attendit quelques instants avant de regarder par la fenêtre. Paulla était toujours là, adossée au muret.

Il sortit.

- Pourquoi es-tu encore là ? tonna t-il.

Elle leva vers lui ses yeux baignés de larmes.

- Parce que je t'aime.

Il fronça les sourcils. Il ne savait plus s'il devait se fâcher ou la plaindre. Elle l'aimait, après dix ans de séparation ? Paulla n'avait-elle aucune fierté ? Ne craignait-elle donc pas les dieux en cocufiant son mari ?

- Je ferai n'importe quoi pour retourner à l'époque, dit-elle. Je suis tienne, Arès. Je l'ai toujours été et le serai indéfiniment.

Arès serra le bras de Paulla, qui s'était blottie contre lui. Voilà des mois qu'il n'avait pas touché une femme et la tentation était grande. Il s'empressa de la refouler. Il ne pouvait pas trahir l'alliance avec Cornix pour passer une bonne soirée. Les conséquences seraient lourdes, et Paulla n'en valait pas la peine.

- Moi, répondit-il d'un ton sec, je ne t'ai jamais aimée.

Arès n'était pas tendre. Pas un seul moment, son regard sur Paulla ne ressembla à celui qu'Augustus posait sur Maia. Il n'était pas habitué à la douceur, au contraire.

- Ne reviens plus ici. Retourne chez ton mari, ordonna t-il.

Humiliée, Paulla essuya ses larmes.

- Tu sais, dit-elle avant de disparaître, j'étais fière pour toi au Colisée. Tu avais toujours été hargneux et fort ; il ne t'a pas fallu longtemps pour mettre à terre tous ces hommes. Mais ta douceur a disparu. Tu es cruel, Arès, et peut-être devrais-je plaindre ta future femme au lieu de l'envier.

Arès attendit qu'elle s'en aille pour retourner à l'intérieur. Sa promise s'imposa à ses pensées alors qu'il se préparait à dormir. Laure, avec ses grands yeux en colère, débordant d'émotions indéchiffrables. Il ne coucherait jamais avec une invalide, peu importe combien elle se montrait désirable. Ce serait trop immoral, même pour lui. Ne plus avoir de relations charnelles ne serait qu'un énième sacrifice à faire.

Les paroles de Paulla lui revinrent aussi en mémoire. Oui, il était cruel. Mais il n'avait pas toujours été ainsi.

C'est à quinze ans qu'il avait commis son premier meurtre.

Couronne de laurierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant