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Laure parvint à quitter Rome en toute discrétion. Elle et Maximus se dirigèrent vers le sud de l'Empire, en bord de mer, où une famille accepta d'héberger Laure pour une somme d'argent qui équivalait à une année de travail.

- Je reviendrais te rendre visite tous les mois, promit Maximus. Fais attention à toi.

- Penses-tu qu'ils se sont rendus compte de mon absence ?

- J'imagine.

Quand Maximus rentra à Rome, la rumeur que Laure s'était volatilisée se propagea dans les semaines qui suivirent. On racontait aussi que Sextus Cassius fouillait de fond en comble la capitale pour la retrouver et l'épouser.

Puis, un mois après que Laure soit partie, une autre nouvelle fut annoncée depuis le palais de l'empereur : l'armée du général Arès Octavius était de retour, triomphante. Triste ironie du destin.

- Tu as entendu ? s'exclama un jour Augustus en rentrant chez lui. On dit que les soldats sont rentrés ! Arès est là !

Maia lui sauta au cou, euphorique.

- Enfin, les Dieux soient loués !

- Je savais qu'il survivrait !

Les Octavius durent attendre jusqu'à la fin de l'après-midi pour qu'Arès ne rentre. Un festin de géant avait été organisé en son honneur : des centaines de patriciens le félicitaient et on buvait à sa victoire.

- À la santé d'Arès, le conquérant !

Arès restait auprès des siens, ému de les retrouver. De nouvelles cicatrices s'étaient dessinées sur sa peau mate ; une barbe épaisse couvrait sa mâchoire et il portait des cheveux plus courts qu'autrefois. Il semblait endurci par les affrontements. Dans cette atmosphère de fête, il se forçait à sourire, car ses yeux étaient ailleurs et il ne touchait pas aux boissons.

- Augustus, dit-il à son frère, que me caches-tu ?

Le jeune homme déglutit.

- Tu dois t'amuser sans te préoccuper de...

- Où est Laure ? l'interrompit Arès. Je sais qu'elle m'en veut de m'être absenté si longtemps, mais elle devrait être soulagée de me revoir, non ?

Elle ne peut pas me haïr au point de m'ignorer ainsi !

Augustus et Maia se regardaient en silence, la mine sombre. Arès se releva en ignorant les autres conviés.

- Pourquoi ne descend t-elle pas me voir ? s'énerva t-il. Pas une seule journée ne s'est écoulée sans que je ne pense à elle !

- Arès, le supplia Belinda, je t'en prie...

- Je vais chercher ma femme.

Sans leur prêter plus d'attention, Arès monta les escaliers à grandes enjambées mais s'arrêta devant la porte de sa chambre à coucher. À l'intérieur, Laure devait être très remontée contre lui. Mais elle lui avait tant manqué qu'il s'en moquait ; la voir lui suffirait.

Il ouvrit la porte. La pièce était plongée dans la pénombre. Il dû allumer une bougie et vit la lyre dorée de Laure scintiller. Où était son épouse ?

Il fouilla la chambre comme s'il allait la trouver cachée derrière les meubles. Il vit que de l'encre tachait la table et qu'on avait écrit sur du parchemin froissé une phrase. "Nous deux formons une multitude". Comme il aimait ces mots. Laure les avait-elle écrit en pensant à lui ? Pourrait-elle lui pardonner de ne pas avoir donné de nouvelles tant de mois ?

- Arès ! lança son frère derrière lui.

- Où est Laure ? demanda le général d'une voix sourde.

- Je vais tout t'expliquer mais d'abord, assied-toi.

- Je t'ai posé une question, Augustus, et tu vas y répondre sur le champ !

Augustus poussa un soupir contrit. Il dû lui raconter qu'on l'avait cru mort au combat, que Sextus voulait épouser Laure et qu'elle avait dû partir précipitamment pour y échapper. Pendant des mois, elle s'était laissée mourir avant de fuir. Les poings d'Arès était si serrés qu'ils blanchirent ; un éclat meurtrier illuminait ses yeux bicolores.

- Je vais le tuer, dit-il, inflexible.

Augustus ne s'opposa pas à lui. Il ne pouvait pas calmer la colère foudroyante d'Arès. Il fallait que du sang coule.

Arès quitta la demeure sans attendre. Il courut jusqu'à celle des Cassius, où il assomma l'esclave qui lui ouvrit.

- Sextus ! hurla t-il.

Nul ne répondit. Il ouvrit toutes les portes et finit par trouver le vieux Cassius, terré derrière ce qui ressemblait à des épices et plantes. Mais nul doute qu'il s'agissait de ses poisons.

Sextus semblait réellement effrayé par l'épée qu'Arès pointait vers sa gorge.

- Tu vas mourir, comme Marcus et comme tous ceux qui se sont dressés devant moi ! Je vais venger toutes ces femmes à qui tu as fait du tort !

Dans une ultime tentative pour se sauver, Sextus jeta une poudre vers le visage d'Arès, qui prit soin de l'éviter.

- Tu continues, espèce de serpent ! J'aurais dû te tuer bien avant !

Sans hésiter, il renversa toutes les affaires de Sextus, planta sa lame dans son estomac et attendit qu'il se vide de son sang pour lui cracher dessus. Ensuite, il dû rentra avant que quelqu'un d'autre ne l'aperçoive.

Tuer était devenu si simple, que parfois il s'effrayait lui-même.

Augustus l'attendait au seuil de leur demeure, rongé par l'inquiétude.

- Tu as fait vite ! s'étonna t-il.

- Sextus est mort.

- Je n'irai pas le pleurer. Remonte dans ta chambre ; je dirais aux autres que tu es allé te coucher pour ne pas éveiller les soupçons. Après tout, dès demain, tous chercheront l'assassin de Sextus.

- Et moi, renchérit un Arès déterminé, je ramènerai Laure à la première heure.

- Soit, Maximus te guidera. Il connaît le chemin et cela ne fait guère longtemps qu'elle est partie.

Ils se turent un instant pour écouter le souffle du vent.

- Tu ne te sens pas étrange, après avoir commis un meurtre ? l'interrogea Augustus. Tu m'as l'air anormalement calme.

- Tuer fait partie de moi. Je ne dois pas laisser de fantômes me hanter.

Augustus observa à la dérivée son aîné avant de se lancer :

- Il y a une question que j'ai regretté de ne pas t'avoir posée avant que tu n'ailles au front. Pourquoi as-tu tué mon père, Arès ?

Le grand-frère ne sut quels mots choisir pour lui révéler qu'il était le fruit de viols répétés.

- Ce n'était pas quelqu'un de bien, Augustus. Tu ne lui ressembles pas. Il nous faisait du mal et il t'en aurait fait aussi.

Augustus n'ajouta rien, si ce n'était un "bonne nuit" flegmatique. Arès fixait les étoiles en songeant d'abord à tous ses meurtres, puis au fait que Laure lui ait donné son cœur malgré son passé. L'aimait-elle toujours ? 

Demain, songea t-il, je te retrouverai et je te rendrai ta lyre. Donne-moi une autre chance, ma Laure, et je te promets que nous serons heureux.

Couronne de laurierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant