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Pour la première fois depuis qu'Arès était parti, Laure allait un peu près bien.

Enfin, c'était un grand mot pour décrire le fait qu'elle ne se sentait plus angoissée. Les habitants du petit village où elle résidait ne la jugeaient pas, ignorant tout de son passé. Elle n'avait plus à jouer aux sourdes et muettes, ni à s'excuser pour ses inombrables mensonges ou fuir le regard des patriciens.

Dans ce village du sud, face à la Sicile, elle était à l'abri. Ses hôtes refusaient de la faire travailler, étant donné la somme d'argent qu'elle leur avait versé. Une patricienne n'était pas élevée pour les tâches manuelles.

Pourtant, il plaisait à Laure de cueillir des fruits, de les couper et de les offrir aux enfants du village. Elle appréciait beaucoup les gens d'ici, en particulier Danaé, la femme qui l'hébergeait et qui la traitait désormais comme sa fille.

- Laure ! l'appela t-elle depuis le pallier de leur petite maison. Où vas-tu ?

- Sur les falaises, je reviens vite.

- Décidément, tu es amoureuse de la mer.

Laure interrompit sa marche quelques instants. Oh non, Danaé. Ce n'est pas de la mer dont je suis amoureuse. Mais celui que j'aime portait toutes les nuances de la mer dans son regard.

Près du village, des falaises surplombaient la Méditerranée. Laure respira son odeur salée, le cœur lourd. Si seulement Danaé ne lui avait pas rappelé Arès ! Laure se sentit écrasée par l'absence de tous ceux qu'elle avait laissé à Rome depuis plus d'un mois. Elle se sentait mieux ici, car la mer et la nature avaient un effet apaisant sur elle, que la ville ne lui avait jamais inspiré. Cependant, elle ne pouvait ignorer le trou béant qui se creusait dans sa poitrine.

Quand elle rentra chez Danaé, les enfants couraient dehors et le père de famille était à la pêche. Laure avait une petite mine, ce que Danaé releva.

- Que se passe t-il, ma grande ?

Laure eut envie de rire jaune. Danaé faisait-elle exprès de l'appeler ainsi alors qu'elle était petite et malingre, et donc moins attrayante que la plupart des femmes de son âge ? Probablement pas.

Quel genre de femme aurait plu à Arès ? Les grandes ? Les blondes ? Si tel était le cas, alors je n'avais aucune chance dès le départ.

Mais il m'a aimé. Il me l'a dit. Il m'a embrassé, plusieurs fois. Je ne dois pas oublier cela.

Danaé prit les mains glacées de la jeune fille dans les siennes.

- Tu penses à tes parents ? Ils te manquent ?

Laure rougit, honteuse de moins penser à eux qu'à son mari perdu.

- Bien sûr qu'ils me manquent, admit-elle. Nous étions en mauvais termes quand j'ai fui et je continue de leur causer du tracas, même en étant loin d'eux.

- S'il y a une chose dont je suis sûre, c'est qu'ils te pardonneront. L'amour des parents envers leurs enfants est infini et tu les aimes énormément. Votre réconciliation ne saurait tarder.

- Merci Danaé.

La femme attendit un peu avant de pousser la conversation plus loin.

- Tu ne me parles jamais de ton époux, Laure. Je sais que tu as fui un mariage que tu ne désirais pas, mais tu n'as pas prétendu être veuve.

- Arès... Mon mari est parti à la guerre et je n'ai aucune nouvelles depuis un an. Nombreux prétendent que l'armée a été vaincue et la rumeur de sa mort circulait à Rome quand j'ai décidé de fuir.

- Ma pauvre, tu es si jeune...

- Je ne pense pas être celle à plaindre. Sa mère et son frère doivent être morts de chagrin, à l'heure qui est, et je ne peux même pas les soutenir.

- Ils préféreraient sans doute que tu sois là. Le rouquin qui t'a amenée ici nous a imploré à genoux et au nom de toute votre famille de prendre soin de toi. C'est à ce moment que j'ai compris que tu n'étais pas n'importe qui. Je veillerai sur toi ma grande, pour toujours s'il le faut.

Laure sentit des flots de larmes ruisseler sur son visage. Elle était si reconnaissante qu'elle enlaça Danaé en la remerciant. Comme elle aurait aimé que ce soit Hélène Cornix, sa mère, qu'elle serrait dans ses bras ! Elle avait envie de pleurer comme une enfant.

- Maman ! s'écria le fils de Danaé. Il y a des cavaliers au village !

Laure se figea. Maximus ne devait pas revenir aussi tôt ! De qui s'agit-il ?

- À quoi ressemblent-ils ? demanda Danaé. Sont-ils armés ?

- Maman ! lança son deuxième fils en rentrant à son tour. Ils viennent par ici !

Laure repoussa les enfants et Danaé derrière elle.

- Restez en dehors de cela, fit-elle en essuyant ses larmes. Ils sont sûrement venus pour moi et je vais les...

- Non ! s'exclama Danaé. Laure, sors par la fenêtre et cours jusqu'aux falaises. Peut-être ne te verront-ils pas et tu seras sauvée. Dépêche-toi, cours ! Nous viendrons te chercher une fois le danger écarté ! Je te promets qu'il ne nous arrivera rien.

Laure prit ses jambes à son cou. Elle ne se souvint pas avoir couru si vite auparavant. Elle sauta à travers la fenêtre, traversa les pâtés de maison du village derrière celle de Danaé, jusqu'aux falaises où elle avait erré un peu plus tôt.

Mon cœur bat si fort ! Faites que Danaé et les enfants n'ont rien...

Tout en priant pour cette généreuse famille, Laure escalada les rochers pour se cacher derrière eux. Accroupie, les mollets dans l'eau, elle s'efforça de ne faire aucun bruit.

Pendant dix ou quinze minutes, il ne se passa rien. Puis un hennissement de cheval retentit à quelques mètres.

Par tous les Dieux, ils vont me trouver !

Laure courut sur le rivage, à peine cachée par les rochers. Elle égara un soulier, qu'une vague transporta au loin, mais ce n'était pas assez. Quelqu'un qu'elle aurait dû reconnaître courait juste derrière elle.

Laure poussa un cri quand il lui saisit le bras, la retourna et planta son regard dans sien.

C'est la mer. Elle me regarde droit dans les yeux.

Couronne de laurierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant