- Tu te moques de moi ? s'exclama Arès.
Visiblement, il laissait la colère l'emporter sur son désarroi. Laure espéra qu'il allait se calmer.
- Non, Arès, répondit-elle en soutenant son regard. Notre famille me manque, mais cet endroit est celui où je veux rester vivre. Ici, je me sens à l'abri, épanouie...
- Tu ne voudrais pas que je m'en aille, aussi ? s'insurgea t-il.
- Bien sûr que non ! Comment peux-tu penser une telle chose ?
Arès tira sur ses mèches de cheveux, nerveux et fatigué. Elle lui posait un ultimatum qui ne lui plaisait guère.
- Notre vie est à Rome, lui rappela t-il en tendant sa main. Viens manger et ressaisis-toi. Qu'est-ce qu'une patricienne pourrait faire dans...
- Je n'ai jamais mené la vie que je voulais à Rome, le coupa t-elle. Pourquoi fais-tu semblant de l'ignorer ?
- Je suis parti longtemps, certes, reconnut-il. Mais ne te venge pas ainsi de moi. J'essaie de me rattraper, Laure, je te jure.
Il lui tendit sa vieille lyre, que Laure n'avait pas touché depuis des mois... Son coeur se serra mais elle ne broncha pas.
- Pardonne-moi, Arès.
Il laissa retomber la main qu'il lui tendait, suivie de celle qui tenait sa lyre. Les témoins de la scène étaient éberlués. Maximus, frappé de stupeur, n'en croyait pas ses oreilles.
- Laure, intervint-il, pourquoi nous abandonnes-tu alors que tous nos problèmes sont enfin réglés ?
Arès ne réagit pas à cette question ; son visage s'était fermé.
- Je ne me suis jamais sentie chez moi, à Rome, admit Laure, d'un timbre navré. Les patriciens ne m'accepteront pas tant qu'ils se souviendront de mes mensonges. Mes parents m'ont tourné le dos. Comment puis-je me sentir chez moi là-bas ?
- Nous sommes là, nous, insista le rouquin. Nous te protégerons.
Laure savait que c'était vrai, mais le désir de mener une vie simple, où elle pourrait tout reprendre à zéro, était si fort ! Nul ici ne l'accuserait de folle ou de menteuse. Elle n'aurait plus à vivre recluse. Ses seules préoccupations seraient les animaux, les fruits, les balades en bord de mer...
Les compteurs seraient à zéro.
Elle serait libre.
Arès plongea ses iris dans les siennes et elle eut l'impression qu'il lisait dans ses pensées, l'air mi-contrarié, mi-décontenancé.
- Serais-tu prête à me quitter pour rester ici ? lui demanda t-il crûment.
Lui qui avait cru, pendant cette longue guerre, qu'il suffisait à son bonheur ! Encore une désillusion.
- Ne puis-je pas vous convaincre de rester vivre ici, avec moi ? suggéra t-elle. Nous pourrions bâtir une maison...
Elle s'arrêta, se sentant soudain très idiote. Elle s'était laissée emporter. Arès était un général, un chef militaire ; il se rendait au palais impérial presque quotidiennement. Augustus marchait dans ses pas. Comment pourrait-elle les forcer à renoncer à leurs ambitions à cause d'un caprice ?
- Désolée, bafouilla t-elle en fixant ses sandales. J'ai gâché nos retrouvailles. Oublie ce que je viens de dire et mangeons un bout.
Maximus esquissa un sourire rassuré qu'Arès ne lui rendit pas. Tout en serrant la main de sa femme, il se maudit. Il avait passé plus de temps loin d'elle qu'à ses côtés ; il aurait suffit de quelques mois supplémentaires pour que Laure apprenne à être heureuse sans lui.
Alors qu'il était incapable d'envisager un futur, ni même un présent, sans elle. Elle était devenue le centre de son univers.
Arès regarda Laure manger et discuter avec Danaé. Même s'il refusait de le reconnaître, il voyait bien qu'elle se sentait à l'aise parmi ces villageoises. À Rome, elle avait toujours été mise de côté, exclue. Mais comment puis-je te laisser ici, Laure ? se dit-il. Comment tenir bon sans toi, alors qu'on vient à peine de se retrouver ?
Arès embrassa l'épaule de Laure. Cette dernière sursauta, puis rougit. Arès ignorait combien de temps encore il pouvait se contenir. Peut-être essayait-il également de se faire pardonner.
De quoi, exactement ? lança une voix dans sa tête. D'être parti à la guerre ? D'être resté là-bas comme mort ? De la forcer à rentrer en enfer, alors qu'elle a enfin trouvé un lieu où elle se sent bien ?
Je ne veux pas être son bourreau.
Arès ne se tortura pas plus. Une fois le repas achevé, ils montèrent en selle. Danaé et Laure s'étreignirent, la première en reniflant. Plusieurs enfants qu'Arès ne connaissait pas pleuraient ; un gamin retenait même le pan de la robe de Laure dans sa main. Le tissu se déchira quand le cheval d'Arès quitta la place.
Arès serra très fort Laure devant lui pour éviter qu'elle ne tombe. Elle s'efforça de ne pas pleurer, bien que cela lui coûtait. Il n'avait pas voulu lui infliger tant de peine. Pourquoi se blessaient-ils mutuellement, sans le vouloir ? Ce n'étaient pas ces retrouvailles qu'Arès avait tant attendu. Il avait espéré que Laure lui saute au cou en le suppliant de la ramener chez eux. Mais en ce moment, il lui sembla que la distance n'avait en rien consolidé leur amour.
La distance les avait séparés.
Bien que réunis, ils allaient dans des directions différentes.
Je la serre dans mes bras mais je ne peux la retenir.
Elle m'aime mais elle veut partir.
Laure ne suit plus le même chemin que moi.
⚔
Écrire un chapitre triste en écoutant de la musique triste...
Il n'empêche que j'ai été très heureuse que mes deux histoires soient nominées pour les Watty's 2019, c'est en partie grâce à vous alors MERCI mes super-lectrices ❤❤❤
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Couronne de laurier
RomanceRome antique, Un combattant dans une arène. Ce qu'il veut ? Gagner pour sortir de son exil et retrouver sa place parmi les siens. Ce qu'il ignore, en revanche, c'est qu'il n'y a pas seulement une couronne de lauriers à remporter, mais aussi la main...